Les professionnels du secteur social et médico-social développent des savoir-faire à l’articulation des situations rencontrées avec les personnes qu’ils accompagnent et de connaissances issues de sciences humaines.
Dans le cadre d’un séminaire organisé par Pluriel formation-recherche, un groupe de directeurs a défini les caractéristiques une instance de réflexion dédiée à la formulation des savoir-faire élaborés par l’équipe interdisciplinaire, en vue de soutenir la qualité clinique de ses membres et de transmettre l’expérience acquise au fil des situations rencontrées.
La méthodologie proposée repose sur le postulat que les clés d’une situation se trouvent dans la situation et non dans une théorie quelconque, sans négliger évidemment les éclairages des concepts issus des sciences humaines. Avant toute élaboration de sens, il importe donc de rassembler les indices que fournit l’exposé détaillé de la situation pour se distancier des représentations qui empêchent de l’appréhender dans sa complexité et ses enjeux.
On constate alors parfois l’existence de pratiques professionnelles stéréotypées, relevant d’une attente de légitimation ou de l’application d’injonctions externes ou internes plutôt que d’une réflexion sur le sens qu’elles prennent pour les personnes accompagnées et donc l’utilité effective qu’elles ont au regard de leurs besoins. Mais on y découvre aussi des pratiques empathiques aux spécificités des personnes accompagnées, une intelligence en situation dont on tire des leçons, savoir-faire qui méritent d’être formulés pour permettre aux uns et aux autres de s’en servir de façon appropriée.
Une instance interdisciplinaire
d’analyse de situations
et d’élaboration de savoir-faire
L’instance de réflexion interdisciplinaire proposée ici vise à soutenir l’acquisition de savoir-faire par l’intermédiaire d’une approche clinique des interactions développées avec les personnes accompagnées.
Nous définissons l’approche clinique comme l’analyse en situation des conduites des personnes en interaction avec les pratiques professionnelles et dispositions institutionnelles. Il importe de rappeler que la clinique caractérise l’analyse au pied du lit du malade (in vivo) - autrement dit l’analyse en situation - par opposition à l’analyse en laboratoire (in vitro). Bien qu’elle en soit issue, l’approche clinique ne caractérise donc pas la seule démarche médicale mais vaut pour les différentes disciplines relevant des sciences humaines.
Compte tenu du volume de temps disponible à la réflexion collective, cette instance doit s’intégrer dans le dispositif institutionnel de réunions en le structurant de façon rigoureuse, notamment en distinguant :
• d’une part les informations susceptibles d’être transmises par écrit, d’autre part celles nécessitant un commentaire oral auprès des personnes concernées, afin de gagner du temps dans les réunions existantes,
• d’une part les temps de réunion concernant des mesures affectant le fonctionnement de l’établissement ou du service, d’autre part les temps de réunion thématique aboutissant à des propositions (au sens large du terme) susceptibles d’engager des mesures dans une instance décisionnelle.
Cela exige de réguler et/ou différer l’abord de questions circonstancielles dans les instances dédiées aux questions de fond. Ces dernières requièrent de prendre le temps d’une réflexion qui n’engage pas de réponse opératoire directe ou/et immédiate. L’instance d’analyse de situations et d’élaboration de savoir-faire ne doit donc pas être le lieu de formulation des insatisfactions ou inquiétudes nécessitant une résolution à court terme .
Les établissements dans lesquels des directeurs se sont efforcés de mettre en œuvre une instance de cet ordre témoignent de ce que le dispositif de réunions doit être précisément défini pour qu’une telle instance fonctionne sans être envahie par l’urgence, l’attente de décisions structurelles ou l’expression d’insatisfactions fonctionnelles.
Une telle instance ne doit notamment pas être initiée pour résoudre une crise institutionnelle ou soutenir un processus de changement. Elle ne prend sens que dans un établissement ou un service qui fonctionne sans difficulté structurelle importante. Si sa perspective critique est susceptible d’identifier certains disfonctionnements, de contribuer à leur analyse et donc à leur résolution, sa vocation est la construction de savoir-faire. Elle repose sur le postulat que les savoir-faire professionnels s’originent dans l’analyse des situations rencontrées avec les personnes accueillies, que les difficultés posées par leurs problématiques sont génératrices de pratiques opératoires.
Objet
Cette instance de réflexion concerne, sans visée opératoire immédiate, mais dans la perspective d’une évolution des pratiques professionnelles :
• soit la situation d’une personne dont les conduites requièrent une prise de distance, une compréhension approfondie,
• soit les situations proches ou similaires de plusieurs personnes, témoignant d’un même problème qu’il importe de comprendre.
Les conduites des personnes ne sont pas considérées comme relevant de leur seule problématique mais en interaction avec des dispositions institutionnelles et pratiques professionnelles qui contribuent à la situation problème.
L’objectif de cette instance n’est pas seulement d’offrir des perspectives de traitement de la situation problème abordée mais de développer la capacité des professionnels à appréhender en situation les conduites des personnes :
• dans leur complexité,
• au-delà des représentations courantes,
• en s’efforçant de percevoir les bonnes raisons d’agir de la personne et le sens que peut prendre pour elle dispositions institutionnelles et pratiques professionnelles,
• pour développer à son égard des savoir-faire appropriés
Cela ne signifie par que les professionnels pourront ensuite procéder en situation à une analyse systématique et consciente de l’interaction vécue avec la personne. Mais l’analyse approfondie de situations problèmes dans une instance dédiée à cet effet soutient l’acquisition d’un savoir-faire en situation qui s’apparente au sens pratique identifié par certains travaux en sciences humaines : analyse intuitive d'un problème, réaction instantanée, vision systémique d'une situation complexe, regard réflexif concomitant à l’action.
Pour cerner les contours de cette notion, Bernard Lahire propose notamment l'exemple du joueur de tennis. « Si, au moment où le joueur est pris dans le match, il ne peut compter que sur ses habiletés incorporées, celles-ci peuvent être le produit de tout un travail de réflexion, de correction, de calcul, de stratégie, etc., accumulé durant les heures d’entraînement. L’entraîneur peut rationaliser la pratique du joueur, lui faire prendre conscience de ses coups, de ses défauts, de ses lacunes, il peut « corriger le tir » en orientant les habitudes de jeu du joueur. L’action exécutée dans l’urgence, le jour du match, bénéficie de toute cette préparation qui s’est faite « avec du temps »… »
On comparera également ce savoir-faire au tour de main de l’artisan, qui ne peut expliquer comment il réussit une pièce unique parce qu’il a incorporé au fil d’une longue expérience les gestes à accomplir et leur adaptabilité à l’ouvrage singulier.
Cette instance de réflexion clinique se distingue :
• de la synthèse de projet individuel (ou d’une réunion intermédiaire de suivi), qui doit aboutir à la définition d’objectifs et de moyens correspondants ;
• de l’analyse de la pratique, effectuée avec un intervenant extérieur et centrée sur le vécu des professionnels, sans visée opératoire ;
• des réunions thématiques de l’ordre de la commission de travail dédiée à l’élaboration de dispositions opératoires concernant le fonctionnement de l’établissement.
Elle constitue une instance de réflexion visant à une meilleure compréhension des besoins ou problématiques du public, à l’énonciation d’hypothèses cliniques utiles aux professionnels en situation .
Elle est susceptible d’émettre des propositions. Instance du débat théorique, elle ne l’est pas au sens de la recherche pure mais de la confrontation entre les connaissances issues des sciences humaines et les situations rencontrées avec les personnes accompagnées. Sa raison d’être repose en effet sur l’acquisition et le développement d’un savoir-faire approprié aux besoins et problématiques des personnes accompagnées.
Il importe par contre que les propositions émises ne soient pas acquises dans le cadre de cette instance mais fassent l’objet d’une validation ultérieure, soit au niveau du groupe des professionnels directement concernés, soit par l’encadrement dans une instance décisionnelle. Elles ne doivent pas en effet obéir à une opérationnalité immédiate mais être médiatisées soit par une instance d’autorité, soit par le fait que chaque professionnel s’en approprie la substance selon sa personnalité et le contexte de son action. En quelque sorte ce n’est pas une instance de décision mais une instance d’infusion au sens où l’on suppose que les savoir-faire qui s’y élaborent se diffusent par imprégnation dans l’établissement ou le service.
Une telle disposition vise à prévenir la dérive qui consisterait à investir cette instance comme le lieu d’énonciation des pratiques auxquelles se conformer. Il serait cependant illusoire de penser que ne se produisent pas des effets relevant du conformisme à une instance institutionnellement valorisée. Mais le fait que la responsabilité d’agir se prenne ultérieurement et à un autre niveau permet que le processus reste ouvert de façon dialectique.
A contrario, cette instance de réflexion sans enjeu immédiat permet que certaines dispositions institutionnelles ou pratiques partagées ne se constituent pas sur le mode de l’immédiate nécessité, sans avoir pris le temps d’un examen distancié.
Dimension formative et spéculative
On apprend au travers de la difficulté rencontrée. C’est ce qui conduit les professionnels du secteur social et médico-social à développer des savoir-faire relatifs aux problématiques des personnes accompagnées. Cette instance vise à les faire émerger dans une double perspective :
• formative, notamment par la transmission aux nouveaux professionnels des compétences collectivement acquises par l’équipe,
• spéculative, en renouvelant les pratiques établies, en approfondissant la connaissance des problématiques du public, en explorant des perspectives d’élaboration théorique.
Pour que cette instance soutienne ces perspectives, il faut qu’elle produise des écrits sur ce qu’elle a permis d’apprendre et que ceux-ci soient valorisés sur le plan institutionnel, ce qui implique une qualité de formulation qui les rende intéressants parce que solidement argumentés et aisément lisibles.
On pourrait d’ailleurs imaginer également que des établissements de même type jumellent leurs temps de réflexion sinon entièrement au moins alternativement.
Enfin, les formations complémentaires effectuées par les professionnels de l’établissement ou du service devraient contribuer à la dimension formative et spéculative de cette instance.
Il faut cependant veiller à ce que la réflexion ne soit pas dominée par des débats généraux, qui semblent parfois atteindre un haut niveau théorique mais se révèlent peu opératoire et reposent souvent sur des représentations professionnelles en vogue plus que sur une élaboration spéculative rigoureuse. La méthodologie proposée plus bas pour soutenir la qualité réflexive de cette instance repose sur le postulat ²empirique que le savoir-faire se dégage de l’analyse des situations problèmes, sollicitant les concepts des sciences humaines non pas a priori mais pour autant qu’ils contribuent à expliciter les problèmes rencontrés de façon vraisemblable, autrement dit de façon jugée pertinente par les professionnels concernés.
Participation et animation
Il s’agit d’une instance interdisciplinaire. L’objet de la réflexion est d’élaborer des savoir-faire transversaux à l’ensemble de l’équipe, savoir-faire :
• issus de l’analyse partagée,
• constituant une cohérence d’approche dans l’interaction avec la personne,
• sous des formes différenciées selon les rôles et compétences respectives.
Le périmètre de participation se détermine en fonction du contexte institutionnel et des sujets abordés. Ainsi, dans un SESSAD de taille modeste, la secrétaire sera spontanément associée compte tenu de sa connaissance des situations et de son rôle d’accueil. Ainsi, dans un établissement comprenant des services généraux et administratifs, ceux-ci participeront éventuellement à des séances les concernant plus spécifiquement, à titre individuel ou collectif. Ainsi dans un gros établissement, l’instance sera calée sur les équipes interdisciplinaires déconcentrées, de telle sorte que la taille du groupe permette l’expression de tous.
La parole de chaque professionnel y est considérée de même valeur, quels que soit son niveau et son type de qualification. Les erreurs dans les conduites des uns ou des autres, notamment relatives à la moindre expérience, n’y sont pas considérées comme des indicateurs d’insuffisance particulière mais :
• comme susceptibles de révéler des fonctionnements ou représentations collectives qui nécessitent des évolutions,
• comme l’opportunité d’éclairer l’interaction entre problématique de la personne et, en réaction, conduites professionnelles et dispositions institutionnelles.
Cela implique notamment que les différentes disciplines professionnelles contribuent aux exposés de situations, que certaines ne soient pas écartées de la présentation de situations au prétexte qu’elles seraient moins qualifiées pour les problématiser et, à l’inverse, que d’autres ne se tiennent pas en retrait, apportant leur interprétation des situations exposées mais ne se mettant pas elles-mêmes en jeu au travers de situations et/ou réservant leur apport d’observations en invoquant la confidentialité de leur exercice professionnel.
Par ailleurs l’expression des uns et des autres exige que le groupe ne soit pas trop important. Il semble qu’une taille de douze à quinze personnes constitue un bon niveau d’échange.
Enfin, l’animation est déterminante pour permettre la participation de tous et l’échange productif. Une animation tournante paraît difficile à réaliser dans la mesure où l’animateur doit être relativement familier de la méthodologie d’analyse des situations examinées et où celles-ci sont susceptibles de toucher à l’imaginaire institutionnel, voire à des implications personnelles. Cela requiert un cadre symbolique affirmé, relevant d’une autorité légitime pour réguler les débats et garantir le respect des personnes.
L’animation systématique par le directeur ne paraît pas non plus judicieuse. Elle risque en effet d’attribuer à l’instance une importance telle qu’elle devienne soit le lieu d’énonciation des modalités de fonctionnement de l’établissement ou du service, soit le lieu d’expression des insatisfactions ou des résistances à des dispositions institutionnelles initiées dans d’autres instances. A un degré sans doute moindre, le risque vaut également pour l’animation par le chef de service. Par ailleurs, l’animation par un psychologue ou le psychiatre semble contradictoire avec la dimension d’interdisciplinarité de l’instance. Elle risque d’une part de lui donner une connotation spécifique, d’autre part d’empêcher les apports du psychologue ou du psychiatre, l’animateur étant tenu à une certaine réserve pour se concentrer sur la démarche méthodologique, garantir la répartition des interventions, le rythme de l’analyse.
A la lumière de diverses expériences menées dans des établissements ou services, il apparaît que, si l’animation par l’un ou l’autre des précédents acteurs institutionnels comporte en effet des risques, elle ne provoque pas automatiquement les dérives supposées lorsque l’animateur exerce son rôle avec pondération, ne développe son propre point de vue que de façon réservée. Mais il semble aussi que la meilleure manière de prévenir ces dérives consiste à développer progressivement une animation assurée au fil du temps par différents membres de l’équipe, dont ceux précédemment cités, sous réserve éventuellement d’un temps de formation préalable à la méthodologie d’analyse et dans la mesure où ils se sentent relativement à l’aise dans la régulation de l’échange au sein d’un groupe de professionnels.
En tout état de cause, doit être assurée la présence d’un cadre d’autorité pour garantir l’expression de tous et le respect de l’objet auquel est dédiée cette instance de réflexion.
Ordre du jour, compte-rendu, durée et fréquence
Afin de garantir l’égal accès et participation de tous les professionnels, les situations examinées font l’objet d’une inscription préalable selon des modalités explicites. En l’absence de cette modalité, l’apparente spontanéité qui en résulterait conduirait progressivement à l’influence dominante de l’un ou l’autre corps professionnel.
De même, un compte-rendu est assuré selon une forme appropriée au contexte : secrétariat tournant , relevé de conclusion final approuvé par le groupe, reprise ultérieure par l’animateur à partir des éléments recensés sur un tableau. Une attention particulière doit être accordée à la rédaction de ce compte-rendu ainsi que précédemment évoqué. La valorisation de l’instance passe également par la qualité du support scripturaire, par sa diffusion dans les équipes, par l’éventuelle récollection sous formes d’annales internes à l’établissement ou au service.
La fréquence suffisante semble être de l’ordre de 1 heure 30 minutes bimensuelle ou 2 heures mensuelles. Une fréquence moindre ne garantit pas un investissement pertinent et un processus qualifiant. Comme préalablement préconisé, cela implique sans doute l’intégration de cet instance dans le dispositif existant des réunions, afin qu’elle n’occasionne pas une surcharge qui empêcherait à terme sa viabilité.
Méthodologie
Il n’y a pas de réflexion approfondie et d’enrichissement de la connaissance des interactions humaines sans support méthodologique.
Les modalités méthodologiques proposées ne reposent pas sur un système théorique mais sur l’hypothèse que les clés d’explication d’une situation résident dans la situation elle-même et que l’analyse consiste, à l’aide de concepts en sciences humaines, à repérer la structure d’intelligence qu’apporte le recueil des données de la situation.
Une situation problème est par nature une situation qui comporte des éléments non élucidés, non perçus jusqu’alors. Cela ne signifie pas qu’on n’a pas de représentation de cette situation, mais le sens en est opacifié de telle sorte qu’elle n’offre pas de prise. Si on accepte en outre l’idée qu’on participe de cette situation, il y a tout lieu de penser que cette représentation nous en dissimule certains éléments. Il faut donc la décomposer pour se distancier de cette représentation, en quelque sorte faire éclater la figure qu’elle constitue à nos yeux pour en recomposer les éléments à partir des indices de sens qu’ils nous donneront.
La méthodologie consiste donc à exposer dans le détail la situation concernée pour en déceler le sens au fil de l’apparition des éléments qui la caractérisent. Pour ce faire, les outils d’analyses suivants, peuvent être employés.
• Description linéaire de la situation, de l’événement, en veillant à n’omettre aucun détail susceptible d’être signifiant et en repérant :
o les ruptures logiques du raisonnement dans la présentation des circonstances (elles signalent un élément caché, un présupposé),
o les éléments ou structure d’éléments qui font récurrence,
o les similitudes de conduites entre acteurs (effets de miroir),
o les éléments qui se contredisent.
• Sur le mode de l’arbre de décision :
o exploration de l’un des paramètres de la situation pour évaluer s’il constitue un facteur explicatif, ou d’une perspective d’action pour évaluer si elle est susceptible d’engager un processus pertinent,
o en cas d’infirmation, exploration d’un autre paramètre ou d’une autre perspective, etc.
Il s’agit en l’occurrence d’échapper au raisonnement circulaire qui s’efforce de prendre tous les éléments en considération sans jamais trancher un argument ou un autre. L’arbre de décision consiste à prendre des décisions (écarter des éventualités), au moins provisoires, pour hiérarchiser progressivement les facteurs constitutifs de la situation.
• Constitution d’un tableau qui vise à distinguer des séries d’éléments. Par exemple :
o les conduites de la personne et les conduites des professionnels,
o les intentions des professionnels et leurs conduites,
o les différentes circonstances d’observation des conduites problématiques.
• Confrontation des conduites professionnelles :
o aux intentions déclarées par les professionnels ou aux orientations institutionnelles,
o à la raison d’être de l’établissement ou du service.
Il s’agit en l’occurrence de repérer le degré de congruence entre les conduites professionnelles et les intentions ou le cadre symbolique. Cette approche reproche sur l’hypothèse qu’une insuffisante congruence indique un manque de cohérence dans les conduites professionnelles et donc des messages contradictoires en direction de la personne accompagnée.
• Adoption systématique du point de vue de la personne en recherchant ses bonnes raisons d’agir comme tel au vu des conduites professionnelles et/ou de sa problématique, puis identification des conduites professionnelles susceptibles de prendre un sens favorable à l’amélioration de sa problématique (renforcement de potentialités, pédagogie du détour, abandon d’objectifs surdimensionnés, etc.).
Par ailleurs l’analyse de situations problèmes par un groupe suppose un accord sur les préalables suivants.
• Les informations fournies par les uns et les autres doivent être mises en mémoire, autrement dit progressivement enregistrées sur un support, pour permettre une appréhension systémique.
• Ce support mnésique doit être à la disposition de tous les participants pour qu’ils puissent contribuer à la réflexion. Cela suppose que les informations soient inscrites sur un tableau.
• Le débat doit :
o se développer à un rythme tempéré pour laisser des traces (autrement dit permettre le temps d’inscription sur un support),
o être ordonné au sens où il faut s’arrêter sur chaque idée et non rebondir d’idée en idée sans approfondissement, comme on l’observe souvent dans les débats de fond.
• Les outils d’analyse doivent être portés à la connaissance des participants pour qu’ils s’emparent de leurs modalités d’exécution. Cela leur permet par ailleurs :
o de faire des propositions en cours d’analyse sur les outils appropriés,
o de rappeler les principes d’exécution et donc de contribuer à assurer la participation de tous et la considération des avis de chacun.
La méthodologie est dans la nature d’une telle instance. Seul le passage par une discipline de réflexion garantit qu’elle ne soit instrumentalisée par divers enjeux institutionnels et ne devienne le lieu d’exercice de relations de pouvoir faussant l’expression régulée des points de vue dans leur diversité.
Il faut donc rappeler le postulat empirique sur lequel elle repose : l’étude de situations. S’il n’est pas impossible d’envisager une approche par thématique (ex : le repas, les relations de dépendance intrafamiliale, la pudeur chez les adolescents, etc.), celle-ci ne produira de savoir-faire que dans la mesure où seront d’abord rassemblées des situations concrètes, non pas considérées comme illustratives, mais comme matériau de recherche dont émergera une connaissance supplémentaire ou plus approfondie des problématiques du public concerné.
La dimension d’abord descriptive du travail, sur le mode phénoménologique, est déterminante. Il ne s’agit d’abord ni d’exposer des thèses ni de rechercher une explication, mais de déposer le matériau. Le processus repose sur le postulat de la déconstruction de la représentation globale d’une situation. Pour comprendre une situation, il faut d’abord se déprendre du sens que nous lui avons donné et qui ne se révèle pas opératoire ou que nous considérons insatisfaisant. Autrement dit : prenons une loupe pour examiner les mille détails, recensons les indices pour en apprendre plus. La recherche relève d’une démarche d’entomologiste, de détective minutieux, avant que ne se dégage une structure de sens.
Faut-il se former pour employer les outils précédemment proposés ? Oui et non.
Non, parce que de tels outils relèvent du corpus ordinaire de l’animation et de modalités d’analyse relativement courantes en sciences humaines, voire pour certains de la simple logique.
Oui, parce que la compréhension rationnelle de ces outils n’induit pas d’emblée leur familiarité d’utilisation et que leur utilisation mécanique ne produit pas les effets attendus. Il faut donc peut-être envisager un processus formatif de cet ordre :
• formation initiale d’une journée, au cours de laquelle les différents outils sont explorés à partir d’exemples,
• mise en œuvre au sein de l’établissement avec l’équipe interdisciplinaire,
• débriefing formatif pour partager difficultés et réussites.
C’est par une appropriation concrète de cet ordre que l’animateur se familiarisera aux outils, en sorte que l’équipe interdisciplinaire s’en empare à son tour sur le mode participatif. L’animation d’une telle instance implique par ailleurs une certaine assise en matière de sciences humaines et une expérience professionnelle, de telle sorte que le groupe se sente en confiance devant une compétence clinique, encore une fois au sens, non de la maîtrise d’une discipline particulière, mais de la capacité à analyser des situations en exploitant des concepts appropriés, autrement dit a posteriori et non a priori.
Le postulat de la déconstruction des représentations induit par ailleurs un temps de mise à plat des situations susceptible de générer une inquiétude que l’animateur doit accepter comme un passage nécessaire et donc réguler à son niveau et au niveau du groupe. L’utilisation des outils peut paraître artificielle et faire donc l’objet de réserves initiales. Sans doute faut-il un climat suffisamment consensuel pour engager le processus, mais celui-ci implique aussi d’énoncer clairement l’intérêt d’une discipline de raisonnement pour peu qu’on lui présuppose des effets.
Il nous semble par contre qu’il faut écarter la perspective d’un accompagnement par un intervenant extérieur même à intervalles espacés. La démarche peut éventuellement s’entamer à partir d’une expérience de formation initiale, s’enrichir d’interactions avec diverses formations individuelles ou collectives en externe ou en interne. Mais l’établissement ou le service doit être lui-même porteur du processus puisque celui-ci repose sur le postulat que les professionnels sont susceptibles de dégager des savoir-faire au contact des publics qu’ils accompagnent.
La définition de cette « instance interdisciplinaire d’analyse de situations et d’élaboration de savoir-faire » a été réalisé par un groupe de directeurs : Didier Changenet, Jean-Claude Crusson, Vincent Defour, François Delacourt, Yann Mari Magré, Pia Perrot, Colette Prud’homme, Dominique Raquin, Patrick Rey, Françoise Voisin. Francis Vergne.
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