Michel Foudriat
La pluridisciplinarité renvoie à toutes les
pratiques de travail en équipe composée de professionnels se référant à des
disciplines différentes ou à des métiers différents (on parlera alors de
travail pluriprofessionnel). La complexité de certaines activités oblige à
adopter plusieurs angles de lecture, plusieurs modes d’analyse pour penser
l’action en prenant en compte plusieurs des dimensions qui caractérisent
l’activité en question ou le problème à résoudre. Le travail pluridisciplinaire
se traduit donc par de nouvelles modalités de collaboration entre
professionnels car leur objectif est la construction d’une analyse partagée et
d’une définition commune des actions. Dans le champ du Travail Social, la
pluridisciplinarité est devenue une référence quasi obligée dans le contenu des
projets d’établissements : l’accompagnement éducatif de jeunes déficients
intellectuels, la prise en charge des personnes âgées, la réinsertion
socioprofessionnelle des jeunes chômeurs. La problématique de la
pluridisciplinarité concerne d’autres champs que le Travail Social : les
réseaux interentreprises, le développement territorial, la gouvernance des
villes, la construction des politiques publiques sont, entre autres, des
domaines caractérisés par des relations pluridisciplinaires ou
pluriprofessionnelles.
La pluridisciplinarité
comme pratique et comme norme dans un service
Dans le secteur professionnel du Travail Social, existe
un discours incantatoire et prescriptif sur le bien fondé et la pertinence de
la pluridisciplinarité, d’autant plus que celle-ci est maintenant inscrite dans
les textes législatifs (entre autres, les annexes 24 et la loi 2002-2). Les
professionnels, dans leur grande majorité, affirment l’enjeu du travail
pluridisciplinaire. Ce discours est d’ailleurs à rapprocher de leur
représentation de l’organisation : celle-ci doit être au service de
finalités partagées, le bien être de l’usager, la qualité du service rendu. Ces
finalités doivent, selon eux, s’imposer à tous et générer une
“ harmonie ” au sein des équipes.
La pluridisciplinarité est une conception dans le
Travail Social qui privilégie l’échange entre professionnels différents au sein
d’un même service. La pluridisciplinarité vise la coopération entre plusieurs
catégories professionnelles autour de l’analyse des situations des usagers
accueillis et autour de l’élaboration des projets individualisés. Les réunions
de synthèse sont, entre autres, des moments particulièrement marquants quant à
l’exercice de la pluridisciplinarité.
L’exemple suivant analyse le fonctionnement du
travail en équipe pluridisciplinaire (travailleurs sociaux et assistantes
maternelles) dans un service de placement familial spécialisé. L’analyse montre
le décalage entre le discours officiel sur la pluridisciplinarité et les
difficultés concrètes de la coopération entre travailleurs sociaux et
assistantes maternelles. L’observation qui sert de support à l’analyse
présentée a été faite avant la mise en application de la loi 2002 mais les
difficultés analysées dans l’exemple restent globalement présentes. L’analyse
expliquera pour quelles raisons les assistantes maternelles et les travailleurs
sociaux sont enfermés dans des cercles vicieux répétitifs qui rendent peu
efficient le travail pluridisciplinaire et peu satisfaisantes les réunions de
synthèses entre ces différents professionnels.
Les caractéristiques formelles de la
pluridisciplinarité dans le service de placement familial spécialisé
Ce service de placement familial spécialisé
accueille, sur mandat judiciaire, des enfants qui sont placés dans des familles
d’accueil. Le service, dépendant d’une association départementale, dirigé par
un directeur, se compose de 70 familles d’accueil, d’un chef de service
éducatif, de huit éducateurs spécialisés (les travailleurs sociaux) et de deux
psychologues. Un projet de service définit les tâches des différents
professionnels dans une optique de qualité de l’accueil avec un objectif d’éviter
toute rupture totale de liens avec la famille naturelle.
Les enfants sont placés à partir de 4 à 8 ans et
restent dans une famille d’accueil jusqu’à leur majorité. Tous les deux ans, le
magistrat, sur la base de rapports transmis par le service, décide du
renouvellement du contrat d’accueil des enfants.
Les tâches des assistantes
maternelles (les familles d’accueil)
Les familles d’accueil sont salariées du
service ; elles sont recrutées sur une liste d’assistantes maternelles
agréées par la DDASS ; elles sont rémunérées sur une base contractuelle
qui, au moment de l’observation, représentait environ 90% du SMIC. En plus de
cette rémunération, elles bénéficient de forfaits annuels pour la vêture, la
nourriture et les frais de la rentrée des classes. La plupart de ces familles
accueillent deux, voire trois enfants. Elles ont pour objectifs :
·
l’accompagnement
éducatif des enfants dans la vie quotidienne ;
·
l’accompagnement
physique des enfants pour les visites au service, les éventuels suivis
thérapeutiques, les visites chez les médecins, etc.
Lorsqu’elles sont en situation de crise et ne savent plus
comment réagir face à un comportement de l’enfant, il est prévu dans le projet
du service que les assistantes maternelles peuvent solliciter leur travailleur
social référent pour une aide ou un soutien. En situation d’urgence grave, il
existe même une procédure proposée par le directeur qui instaure une réunion
entre tous les professionnels concernés : l’assistante maternelle,
l’éducateur référent, la psychologue, le chef de service. Les psychologues ont
pour tâches l’accompagnement des familles d’accueil, la supervision des binômes
travailleur social – assistante maternelle, l’aide à l’évaluation du suivi de
l’enfant et à l’élaboration du projet.
Les tâches des
éducateurs
Les éducateurs ont pour objectifs :
·
l’accompagnement
des familles d’accueil ;
·
le
contrôle de la qualité de l’accueil au sein des familles d’accueil (chaque
éducateur est référent pour le suivi de
plusieurs enfants ;
·
l’élaboration
et la redéfinition du projet de l’enfant à partir d’une évaluation régulière de
sa pertinence dans le temps ;
·
l’animation
du réseau des partenaires associés ;
·
l’élaboration
de rapport de synthèse au magistrat.
Le projet de service prévoit que les éducateurs soient garants
de la qualité de l’accueil et de la pertinence des réorientations du projet de
l’enfant ; ils ont à remettre, au juge qui a ordonné le placement, un
rapport au moins une fois par an. Ce rapport présente le projet de
l’enfant ; il explicite et justifie les décisions importantes prises au
cours de l’accompagnement (orientations scolaires, choix d’établissement, suivi
thérapeutique, orientation professionnelle, de nouvelles modalités pour les
visites ou les week-end dans la famille naturelle).
Pour les éducateurs, le projet de l’enfant doit être
argumenté a minima. Les éducateurs doivent donner des explications aux parents,
aux partenaires (entres autres l’ASE - Aide Sociale à l’Enfance – service du
Conseil général financeurs de ces services) sur les projets, sur les
réorientations ou sur d’autres propositions de placement. Ils doivent répondre
aux questions qui leur sont posées.
Pour réorienter les projets des enfants et pour
écrire leur rapport au magistrat, les éducateurs s’appuient sur les informations
recueillies auprès des assistantes maternelles lors de rencontres au service ou
durant les réunions de synthèse auxquelles ces dernières participent. En effet,
lors de ces moments, il est prévu que les assistantes maternelles évoquent
leurs observations sur le vécu des enfants, sur les problèmes de développement
de ces derniers ainsi que les difficultés relationnelles qu’elles peuvent avoir
avec les enfants. Les échanges entre professionnels constituent la base d’un
travail pluridisciplinaire dont les travailleurs sociaux comme les assistantes
maternelles reconnaissent le bien fondé dans l’intérêt des enfants placés.
Les observations sur les comportements de l’enfant
dans la famille d’accueil, à l’école, par rapport à l’environnement social
(entre autres, les voisins, le quartier) sont discutées et analysées en réunion
de synthèse en dehors de la présence des assistantes sociales. Les travailleurs
sociaux et les psychologues interprètent les observations dont ils disposent et
élaborent des hypothèses pour redéfinir le projet pour l’enfant.
Observations des
communications entre assistantes maternelles et travailleurs sociaux
L’observation des échanges lors des réunions
institutionnelles comme l’analyse d’entretiens menés auprès de travailleurs
sociaux et d’assistantes maternelles dans des services de placement familial
montrent que les communications entre les travailleurs sociaux et les
assistantes maternelles sont difficiles et lourdes de tensions qui ne
parviennent pas toujours à être exprimées ouvertement. Aux yeux des acteurs,
ces échanges sont insatisfaisants alors qu’ils sont formellement considérés
comme essentiels par tous.
Les griefs des
travailleurs sociaux par rapport aux assistantes maternelles
Les reproches que les travailleurs sociaux formulent
à l’égard des assistantes maternelles sont nombreux :
·
ils
pensent que les assistantes maternelles ne livrent pas beaucoup d’informations
pertinentes sur les comportements des enfants placés ; les informations
spontanément rapportées par les assistantes maternelles leur paraissent neutres
ou insuffisantes pour évaluer la qualité du placement et élaborer des
hypothèses pertinentes afin de réorienter le projet de l’enfant ;
·
ils
les soupçonnent même de cacher des informations importantes ;
·
ils
leur reprochent de ne pas leur faire part des difficultés qu’elles rencontrent
au quotidien ;
·
ils
regrettent qu’elles ne fassent pas assez appel à eux lors de situations
difficiles qui génèrent parfois des crises importantes avec les enfants ;
·
ils
pensent que les assistantes maternelles ont la crainte d’être jugées et de
perdre leur contrat avec le service de placement familial.
Face à leurs constats, les travailleurs sociaux soumettent
les assistantes maternelles lors des moments de rencontres, à un flot de questions
directes sur les événements de la vie de l’enfant. Cependant, malgré cela, ils
n’obtiennent pas les informations avec la précision souhaitée.
Les travailleurs sociaux jugent que le recrutement
de familles d’accueil est devenu plus difficile en comparaison du passé car les
motivations des postulantes seraient devenues, selon eux, essentiellement
d’ordre économiques. Aujourd’hui, le métier d’assistante maternelle renverrait
moins à une “ vocation ” qu’à une stratégie d’avoir un emploi procurant
une rémunération plus élevée que celle qu’elles pourraient avoir compte tenu de
niveaux de qualification relativement faibles. La plupart des familles
d’accueil salariées de ce service ont la garde de trois enfants et ont une
rémunération globalement équivalent à presque trois fois le SMIC.
Les griefs des assistantes maternelles par
rapport aux travailleurs sociaux
Les assistantes maternelles évoquent des difficultés
dans les relations avec les travailleurs sociaux. Globalement, elles affirment
qu’il existe des difficultés de compréhension avec les travailleurs sociaux.
Elles évoquent leurs interrogations sur leur place et leur rôle dans le service
et éprouvent un sentiment de dévalorisation.
Dans les interactions avec les travailleurs sociaux,
les assistantes maternelles perçoivent une hiérarchisation de fait derrière le
constat de niveaux d’énonciation différents. Les assistantes maternelles
livrent des informations sur les observations qu’elles font sur le placement au
quotidien. En agissant ainsi, elles se conforment au rôle qui est attendu
d’elles. Cependant, elles perçoivent que les remarques, les réflexions des
travailleurs sociaux se situent sur un registre d’énonciation différent du
leur. Elles proposent des descriptions tandis que les remarques des éducateurs
se situent sur un plan interprétatif. Pour elles, les travailleurs sociaux
s’autorisent à occuper une position d’autorité qui introduit, en permanence, la
crainte d’un jugement implicite sur leur façon d’être et de faire.
Les assistantes maternelles comprennent que les
remarques, les observations qu’elles font ne sont jamais entendues pour la
signification manifeste qu’elles ont, à leurs yeux, mais constituent toujours
pour les travailleurs sociaux des “ matériaux ” qui vont leur servir,
à eux, experts de l’explication, à construire un sens masqué. De ce fait, elles
éprouvent un sentiment de dépossession et de dévalorisation dans la mesure où
elles se vivent exclues du processus de construction de sens malgré l’idéal de
pluridisciplinarité affiché et revendiqué par tous les travailleurs sociaux.
Elles comprennent d’autant moins cette exclusion du processus d’élaboration du
projet pour l’enfant qu’elles estiment être au premier plan pour évaluer ce qui
est pertinent pour lui et devrait lui être proposé.
Les assistantes maternelles découvrent que, souvent,
les informations qu’elles ont données à un travailleur social ont été
retransmises à l’équipe voire au directeur avec une signification différente de
celle qu’elles avaient, selon elles, données. Ces retraductions déformées
constituent, pour les assistantes maternelles, une trahison. Elles acceptent
d’autant moins cette situation qu’elles perçoivent que les éducateurs
n’échangent pas entre eux seulement sur des interprétation relatives à la
situation de l’enfant mais aussi évoquent leur évaluation de la prise en charge
de l’enfant et les jugent quant à leurs compétences à accueillir un enfant. Les
assistantes maternelles disent ne pas faire confiance aux travailleurs sociaux.
Les travailleurs sociaux proposent aux assistantes
maternelles des interprétations sur les comportements de l’enfant pour les
aider à mieux comprendre la problématique de l’enfant et à réagir autrement
face à lui. En plus, les travailleurs sociaux interpellent les assistantes maternelles
sur la relation qu’elles ont avec l’enfant accueilli. Ces dernières ressentent
comme des jugements indirects autant les questions intrusives des éducateurs
que les interprétations qu’ils suggèrent pour expliquer leurs difficultés avec
l’enfant placé.
Analyse stratégique
et systémique des difficultés du travail pluridisciplinaire au sein du service
Les observations sur les interactions entre
travailleurs sociaux et assistantes maternelles révèlent quelques situations
récurrentes. Le travail pluridisciplinaire peut être analysé à partir des
questions suivantes :
·
pourquoi
les assistantes maternelles ne livrent-elles pas des observations qui puissent
effectivement servir au travail d’élaboration du projet de l’enfant ?
·
pourquoi
les travailleurs sociaux sont-ils si intrusifs en posant de nombreuses
questions sur la relation de l’assistante maternelle à l’enfant qu’elle
accueille ?
·
pourquoi
les assistantes maternelles n’ont pas recours, lorsqu’elles se trouvent en
difficulté, à la procédure selon laquelle elles peuvent demander aide aux
travailleurs sociaux ?
Enjeux et stratégies des assistantes
maternelles
Les assistantes maternelles ont pour enjeu dominant
la reconduction de leur contrat avec le service. Entre le service et les
assistantes maternelles existe un contrat relatif au nombre maximal d’enfants
qu’elles peuvent accueillir. Aucune clause ne prévoit le maintien du nombre
maximal après le départ d’un enfant. Les assistantes maternelles sont donc
dépendantes des travailleurs sociaux qui évaluent la qualité de leur prise en
charge. Cette évaluation se construit au travers de ce qu’elles disent des
comportements de l’enfant et de leurs difficultés. Ainsi, selon la perception
qu’en auront les travailleurs sociaux, les assistantes maternelles pourront espérer
que le service continuera à leur confier d’autres enfants lorsque les
placements en cours arriveront à terme. L’évaluation de la prise en charge
constitue, pour les assistantes maternelles, une incertitude qui est d’autant
plus difficile à maîtriser qu’elles n’ont pas une représentation claire des
critères en fonction desquels les travailleurs sociaux les évaluent.
Ainsi, en l’absence d’une référence à des critères
d’évaluation explicites et univoques, les assistantes maternelles ont pour
stratégie de rendre neutres les informations transmises aux éducateurs ;
elles estiment avoir intérêt à plutôt ne pas trop en dire sur la réalité du
vécu de la prise en charge quotidienne, y compris et surtout dans les phases où
elles pensent ne pas y arriver avec l’enfant. Pour ne pas risquer de perdre
leur emploi ou du moins pour conserver des chances d’accueillir de nouveaux
enfants lors de départs, les assistantes maternelles cherchent à donner aux
travailleurs sociaux une image acceptable d’elles et de la façon dont elles s’y
prennent avec les enfants qui leur sont confiés.
Pour réduire tout risque d’une évaluation
défavorable, les assistantes maternelles deviennent prudentes dans la façon
dont elles présentent leurs observations : soit elles n’explicitent pas
certains détails et restent à un niveau de généralités sans prises, soit elles
cachent les éventuelles situations où elles se sont trouvées en difficulté.
Cette prudence est une stratégie qui devient contradictoire avec leur besoin
d’aide et de soutien lors de situations difficiles avec un enfant placé. En
effet, pour ce dernier cas, en adoptant ce comportement, elles se privent d’une
aide qui pourrait leur permettre de prendre de la distance par rapport à leurs
difficultés. En agissant ainsi, faute de conseils ou de suggestions, elles
peuvent continuer à reproduire les mêmes attitudes non pertinentes, courir le
risque d’aggraver leurs difficultés avec l’enfant et générer une crise plus
grave encore qui justifiera alors l’intervention du travailleur social et
confortera ce dernier dans un jugement négatif.
La procédure de recours à l’équipe en cas d’urgence
et de situations difficiles a été formellement définie comme un moyen d’aide.
Elle est en fait vécue, par les assistantes maternelles, comme une épreuve car
elles vivent le recours comme un moment d’évaluation. En se trouvant dans
l’obligation d’expliciter leurs difficultés à des travailleurs sociaux, elles croient courir le
risque d’être perçues en échec et d’être jugées incompétentes. Pour ne pas se
trouver dans cette situation, les assistantes maternelles préfèrent taire et
cacher leur désarroi devant certaines situations difficiles avec les enfants
placés ; elles pensent que l’incident restera circonscrit et qu’elles
n’auront pas à demander une aide extérieure. Ne pas utiliser la procédure
institutionnelle correspond à une stratégie : éviter de donner prise à des
évaluations négatives sur leurs compétences à accueillir des enfants et pour
préserver la probabilité de se voir encore confier d’autres enfants
Enjeux et stratégies des travailleurs
sociaux
La qualité de la prise en charge est un des enjeux
dominants des travailleurs sociaux parce qu’ils sont garants du suivi du
placement vis-à-vis de la direction du service et du magistrat qui a ordonné le
placement. Les travailleurs sociaux sont sensibles aux modalités de la prise en
charge de l’enfant car il existe, pour eux des seuils au delà desquels la prise
en charge d’un enfant n’est plus acceptable. La maltraitance physique ou
psychologique, des comportements non respectueux de l’autonomie de l’enfant,
des attitudes directives imposant des normes de vie et de pensée sont des
motifs de fin de placement.
Les travailleurs sociaux ont besoin de comprendre la
nature concrète de la prise en charge dans la famille d’accueil. Ils évaluent
ainsi la qualité éducative de la relation de l’assistante maternelle avec
l’enfant qu’elle accueille car ils sont garants, pour le service, du non
dépassement de ces seuils d’acceptabilité dans les prises en charge. Leur objectif
est de vérifier s’il y a eu dépassement ou non de ces seuils.
Par rapport à cet enjeu et aux multiples aspects par
lesquels il se traduit, les travailleurs sociaux cherchent à avoir le maximum
d’éléments fiables sur le placement réel. Ils cherchent à saisir et à
comprendre ce qui, au domicile de la famille d’accueil, à l’école ou dans tous
les autres lieux de socialisation fréquentés par l’enfant, se joue pour lui,
par rapport à la famille d’accueil. Ils cherchent également à saisir les
raisons pour lesquelles une famille d’accueil se comporte de telle ou telle
façon. Les informations que recherchent et recueillent les travailleurs sociaux
ne servent pas uniquement à construire le projet de l’enfant ; elles
constituent des éléments pour appréhender et apprécier le sens de la pratique
d'accueil d'une assistante maternelle.
N’étant pas observateurs directs des comportements
de l’enfant ni des circonstances dans lesquelles se produisent tel ou tel fait,
les travailleurs sociaux sont de fait dépendants de la façon dont les
assistantes maternelles vont leur rapporter ce qu’elles ont observé du
comportement de l’enfant. Ils savent, par expérience, que les assistantes
maternelles ne leur livrent sur la réalité que ce qu’elles veulent bien en
dire. Alors pour réduire cette incertitude, ils adoptent une stratégie de
questionnements directs des assistantes maternelles pour obtenir des réponses
qui viennent compléter et affiner la description de la situation de la prise en
charge de l’enfant. Mais cette stratégie se traduit par des questions que les
assistantes maternelles perçoivent comme intrusives parce qu’elles sont
directes, précises et portent parfois sur des aspects qui apparaissent
appartenir au domaine privé de la vie familiale. Ainsi, la stratégie des travailleurs
sociaux a des effets contraires à ceux recherchés car l’insistance à poser des
questions intrusives montre aux assistantes maternelles une absence de
confiance à leur égard. Le sentiment de non reconnaissance qui se développe
chez les assistantes maternelles ne facilite pas l’établissement d’une
véritable coopération autour de la question du placement.
Bien qu’en aucune façon les rencontres entre
travailleurs sociaux et assistantes maternelles ne soient reconnues
officiellement comme des moments d’évaluation, ces séquences ont, aux yeux des
assistantes maternelles, indirectement une telle fonction ce qui génère chez
elles une suspicion face à toutes questions relativement précises qui les
conforte dans leur stratégie de prudence.
La pertinence du projet de l’enfant est également un
deuxième enjeu important pour les travailleurs sociaux du service. Par rapport
à cet autre enjeu, les travailleurs sociaux ont besoin d’informations sur le
suivi du placement pour évaluer la pertinence des orientations déjà retenues et
pour en définir de nouvelles. Dépendants des assistantes maternelles, ils ont,
vis-à-vis d’elles, la même stratégie de questionnements qui place ces dernières
en position d’exclues du fait qu’elles ne participent pas aux réunions où se définissent
et se décident les projets pour les enfants.
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