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GEIST 53 Laval, 27 avril 2007, Bertrand Dubreuil

Pourquoi, dans le secteur social et médico-social, demander à un l'adulte avec un handicap ou aux parents d'un enfant avec un handicap de signer le document individuel d'accompagnement ? Craint-on que, les uns comme les autres, ne respectent pas certains engagements ? Veut-on en faire des partenaires ? Et pourquoi seraient-ils des partenaires ?
Les parents sont autre chose que partenaires, ils sont les parents de l'enfant. Ils n'ont pas à travailler avec lui. Ils ont à vivre leur parentalité avec lui.
L'adulte, quant à lui, n'est pas non plus le partenaire d'une action professionnelle. Il est la raison d'être de cette action. Et il a sa vie à vivre. Une vie qui nécessite une prestation de suppléance au regard des difficultés particulières qu'il rencontre.
Et, s'il a des engagements à prendre, c'est par rapport à lui-même.
Pourquoi serait-il co-acteur ? Craint-on qu'il ne se comporte en consommateur, en assisté ? La prestation dont il bénéficie relève de la réponse à des besoins spécifiques dans le cadre d'une loi qui énonce l'égalité des droits et des chances. Quel engagement aurait-il à prendre à l'égard d'un service qui vient l'aider à compenser sa situation de handicap ? Il n'a d'exigence et de compte à rendre, qu'à lui-même. De même que je mène ma vie à la hauteur des exigences que je me donne.
Quel engagement les parents auraient-ils à prendre à notre égard alors qu'au travers de l'autorité parentale ils ont pris devant la société l'engagement d'éduquer leur enfant ? Pourquoi, du fait que leur enfant a un handicap, devraient-ils prendre un engagement plus solennel que lorsqu'on inscrit un enfant dit ordinaire à l'école ?
Les parents de l'enfant accompagné et les professionnels sont dans un rapport de co-éducation auprès de l'enfant, autrement dit une action éducative menée conjointement par plusieurs personnes auprès d'un être en devenir.

Dans notre société, le rapport d'éducation ne relève pas du contrat, mais d'une part de la confiance d'autre part de l'obligation.
De la confiance parce que l'éducation de l'enfant est confiée à ses parents par la société. De l'obligation parce que cette même société énonce des exigences : la responsabilité de protéger la santé et la moralité de l'enfant, ainsi que celle de lui offrir une scolarité.

C'est à l'obligation de soin (veiller à la santé de son enfant) qu'obéissent les parents lorsqu' ils vous confient leur enfant. En donnant leur accord à la proposition de la CDAPH, ils en acceptent les exigences, telles que, par exemple, celle de rencontrer les professionnels autour du projet individuel ou de veiller à l'assiduité de leur enfant.

La signature du projet d'accompagnement l'assimile au contrat de séjour. La signature en bas d'un document de deux personnes soit signifie que je reconnais avoir pris connaissance de conditions qui s'imposent à moi pour bénéficier d'une prestation, soit relève d'une contractualisation.

Certains conçoivent le contrat de séjour comme une convention d'engagements réciproques. Dans cet esprit, le projet individuel est construit sur l'énonciation d'une part des prestations offertes et d‘autre part des résolutions prises par l'usager pour parvenir à un objectif. Le contrat d'insertion afférent au versement du RMI est l'exemple paradigmatique du contrat d'engagement réciproque dans le domaine social : à l'effort fourni par la société doit correspondre un effort de l' individu.

Celui-ci doit s'efforcer de s'insérer dans la société tandis que cette dernière s'engage à lui en offrir lesmoyens.
Sauf que la loi du 11 février 2005 réaffirme que le statut de la personne avec un handicap ne relève pas de l'assistance mais de l'égalité des droits et des chances. Pourquoi l'usager devrait-il prendre quelque engagement que ce soit pour bénéficier de ce qui est constitutif de la citoyenneté ?

Joël Delafontaine propose une autre interprétation du contrat de séjour. Il écrit : « C'est la mise en débat des indications formulées par les professionnels et des demandes formulées par l'usager. »
Les termes employés sont particulièrement intéressants :
  • mise en débat : il s'agit d'un instrument incomplet et provisoire et non d'un écrit figeant les positions ;
  • indications : il s'agit d'hypothèses émises par les professionnels sur les besoins de l'usager, besoins auxquels ils se déclarent susceptibles d'apporter certaines réponses ;
  • demandes : il s'agit de l'expression de l'usager au sens d'une démarche de sa part, pas seulement d'une attente de caractère passif mais, à l'inverse, sans donner à sa parole la validité de définir à elle seule les besoins à assurer.
« La mise en débat des indications formulées par les professionnels et des demandes formulées par l'usager. »… Voilà une formulation qui, me semble-t-il, s'accorde fort bien à une éthique de l'interaction entre sujets au fondement de notre relation professionnelle avec l'usager.


Attention, ce n'est pas l'usager client-roi dont on fait les quatre-volontés. Il ne s'agit pas de se refuser à énoncer des exigences. Mais celles-ci n'impliquent pas un engagement de l'usager, elles s'imposent à lui comme une obligation sociale. Citoyen, membre d'une société, lui et moi, nous tous, dès notre conception, avant même notre naissance, nous ouvrons droit, sans condition, à la solidarité nationale, mais en même temps nous participons d'une société qui établit des conditions d'appartenance comme autant d'exigences. Nous ouvrons droit à la solidarité et nous sommes obligés au règle du vivre ensemble. J'insiste : « ouvrons droit », « sommes obligés ». Anthropologiquement notre rapport à la société ne relève pas du contrat mais de la solidarité et de la règle.


Dans la mesure où l'usager demande à être suivi - ou donne son accord pour être suivi - les conditions de délivrance de la prestation s'imposent à lui. Il est dans la situation du voyageur qui prend son billet de train, du salarié qui se déclare à l'assurance maladie pour le remboursement de ses frais médicaux ou du parent qui inscrit son enfant à l'école. Par cette démarche, nous reconnaissons que la prestation dont nous allons bénéficier implique des conditions qui s'imposent à nous.


La signature du projet individuel est donc redondante. Sauf à supposer que ce projet comporte des engagements de l'usager ou qu'on se méfie au point de lui demander de s'engager solennellement au respect de conditions qui par ailleurs… s'imposent à lui.
Serait-ce parce qu'il a un handicap, manque d'autonomie, qu'il est soumis à une mesure d'exception. Pourquoi demande-t-on le plus à ceux qui ont le moins ? écrit Robert Castel. Pourquoi la situation de handicap impliquerait-elle des engagements particuliers ? Une formalisation supplémentaire ?


La signature au bas d'un document témoigne soit d'une méfiance, soit d'une volonté de donnant donnant. Or le lien d'accompagnement, qu'il soit d'éducation ou de soutien à l'autonomie, relève d'une promesse. Elle repose sur un engagement en confiance, pas sur la garantie qu'on pourra faire appel à un accord dûment répertorié.

La promesse repose sur l'obligation envers soi - envers soi-même - de ne pas manquer à l'autre. La promesse repose sur la confiance en l'autre et la signature au bas d'un document suppose le soupçon que cette promesse puisse être trahie.

Le lien établi entre le professionnel et l'usager est la réalisation de cette promesse, le renouvellement de la promesse, par monts et par vaux, pour le meilleur et pour le pire, par déceptions et succès.
Le contrat est établi autour d'une échéance et suppose qu'on s'y tienne, alors que le lien, lui, est vivant et que la promesse s'éprouve au fil des événements, des actes et des sentiments. Comme expérience de vie. La promesse n'a pas besoin de traçabilité parce qu'elle est un chemin tracé ensemble.


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elles te disent qui tu es, où tu es."
H.L. Kristiansen, Paroles Inuit