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GEIST 53 Laval, 27 avril 2007, Bertrand Dubreuil

Pour Robert Castel, les sociétés reposaient antérieurement sur la contrainte du groupe, le relatif assujettissement de l'individu à des places et comportements prédéterminés, tandis que les sociétés démocratiques exigent de cet individu qu'il soit mobile et souple, tout à la fois intégré et adaptable. En un mot autonome. Il doit développer « les supports de l'indépendance » pour être en capacité de contracter, il doit se diriger pour son propre compte et non en se concevant comme partie d'un ensemble qui le détermine.
La nouvelle figure du Contrat social semble privilégier la liberté sur la solidarité, l'autonomie sur l'appartenance. L'exigence de liberté prend la forme d'une recommandation à contracter en connaissance de cause et selon son libre arbitre. Encore faut-il disposer des ressources fournies par l'éducation et l'inscription dans un réseau social porteur. « Chacun n'est pas égal face à cette nouvelle exigence sociale, écrit Patrick Cottin. […] La grande injustice sociale actuelle […] est que l'on traite également des situations inégales. » Il faut assumer les exigences de l'individu autonome sans disposer nécessairement des conditions requises par cette indépendance.

Il ne s'agirait plus tant de participer de la société dans sa double dimension obligataire et solidaire mais d'être sollicité pour participer à son fonctionnement. Participer à l'élaboration de son projet, participer au fonctionnement de l'établissement ou du service, participer à son évaluation… Devenir co-producteur de son devenir lorsqu'il requiert une suppléance spécialisée.
En demandant à l'usager de participer à, on le convie à manifester son autonomie de décision - au moins à en donner les apparences - alors que justement son inscription dans le secteur médico-social signe sa relative dépendance, autrement dit sa perte d'autonomie.
L'affaiblissement de la référence à la mission au profit de la référence à l'individualisation de la prestation, à la figure de l'usager comme juge de sa valeur, et pour certains à la figure du client, cette évolution témoigne-t-elle qu'il s'agit désormais moins de participer d'une société solidaire que de participer à la production du service reçu ?

La participation à la production du service reçu, c'est la figure inversée de la consommation d'une prestation dûe, de la prétention à une assistance sans condition. Sans doute assiste-t-on là à une réaction contre une attitude déresponsabilisée qui attend tout de la société, ce qu'on a appelé l'Etat-providence. Mais, pourquoi demande-t-on à ceux qui ont reçu moins que l'ordinaire, pourquoi leur demande-t-on de participer à. Comme s'ils ne participaient plus de cette société parce qu'ils ne sont pas entièrement autonomes. On devrait d'ailleurs dire moins autonomes, car aucun d'entre nous n'est autonome. Nous avons tous besoin des autres, de cette société et de tous ses services, publics ou marchands. Nous n'avons jamais été aussi dépendants des autres pour ce qui nous fait matériellement vivre.
Est-ce que, en tant que professionnels, nous ne devrions pas nous occuper un peu moins de ce que l'usager doit participer à, et nous préoccuper un peu plus de qu'il participe de ? Participer de, c'est être membre d'une société, participer de la démarche partagée du mieux vivre ensemble.
Et est-ce que ce « participer de » la société peut être rattaché à ce qu'on appelle le traitement social du handicap, par opposition au traitement médical comme délivrance d'une prestation à un individu ?
La Classification internationale du fonctionnement (CIF) présente deux approches du handicap, que Vincent Assente interprète comme suit :

  • Le modèle médical : « considère les hommes tels que la nature les a fait en s'efforçant de la corriger pour leur mieux-être. »
  • Le modèle social : «considère les hommes tels qu'ils doivent jouir des droits et des biens sociaux. »

« Dans le modèle médical, le handicap est perçu comme un problème de la personne, conséquence directe d'une maladie, d'un traumatisme ou d'un autre problème de santé, qui nécessite des soins médicaux fournis sous forme de traitement individuel par des professionnels. Le traitement du handicap vise la guérison ou l'adaptation de l'individu ou le changement de son comportement. Les soins médicaux sont perçus comme étant la principale question et, au niveau politique, la principale réponse est de modifier ou de réformer les politiques de santé. »
« Dans le modèle social, par contre, le handicap est perçu comme étant principalement un problème créé par la société et une question d'intégration complète des individus dans la société. Le handicap n'est pas un attribut de la personne, mais plutôt un ensemble complexe de situations, dont bon nombre sont créées par l'environnement social. Ainsi, la solution au problème exige-t-elle que les mesures soient prises en termes d'action sociale, et c'est de la responsabilité collective de la société dans son ensemble que d'apporter des changements environnementaux nécessaires pour permettre aux personnes handicapées de participer pleinement à tous les aspects de la vie sociale. »

En simplifiant on pourrait dire que :

l'approche médicale engage une action spécialisée sur la fonction déficiente,
l'approche sociale engage une action auprès de la personne dans son milieu de vie et auprès de ce milieu de vie lui-même.
L'action développée auprès de jeunes enfants sourds repose sur des séances d'orthophonie autour de l'articulation, de la récupération des restes auditifs, de l'émission vocale à partir de l'affinement des sensations kinésthésiques, de l'accès à des supports visuels facilitant la communication. Mais cette action est largement insuffisante pour permettre l'acquisition du langage dans sa complexité. L'enfant sourd doit bénéficier d'un bain de « langage » continu comme l'enfant entendant pour accéder au langage.

Cela suppose :

que l'orthophoniste travaille aussi à domicile avec le petit enfant, en situation,
qu'elle travaille avec les parents autour de rudiments gestuels permettant la communication intrafamiliale,
que les parents apprennent un mode de communication visuelle pour offrir à leur enfant les mots adaptés en situation et l'énonciation des événements dans toute leur complexité,
que l'enfant acquiert ce mode de communication visuel au travers de situations concrètes et singulières et non à partir de représentations abstraites et généralisantes.
Il s'agit donc de considérer que le langage ne s'apprend pas seulement au travers d'une action spécialisée hors situation - la séance d'orthophonie, mais aussi au travers d'une action ordinaire en situation avec l'aide de supports spécialisés - les moments de vie familiaux avec des supports visuels à la communication.
Peut-on transposer cette perspective à la déficience intellectuelle : ne pas apprendre seulement au travers d'une action spécialisée hors situation, mais aussi d'une action ordinaire en situation avec l'aide de supports spécialisés ? Peut-on transposer le bain de langage pour le sourd en bain d'autonomie et d'intelligence pour le déficient intellectuel ?
Le principe du milieu spécialisé c'est de considérer que la personne progressera : en recevant une prestation d'une haute technicité, dans un milieu équipé en conséquence, au cours de séquences temporelles intensivement consacrées à la rééducation des fonctions déficientes.
Le principe de l'approche médicale, c'est d'agir sur la fonction déficiente par différents moyens orthopédiques et prothétiques, en supposant que l'amélioration de la fonction se transposera ensuite dans les situations de vie quotidienne qui requièrent l'utilisation de cette fonction.
Le principe du milieu ouvert c'est de considérer que la personne progressera en utilisant les ressources de son milieu de vie, celui-ci soutenu par une prestation spécialisée, au plus près des situations ordinaires.
Le principe de l'approche sociale, c'est d'agir dans et sur le milieu de vie de la personne en supposant qu'elle améliorera d'autant ses compétences qu'elle apprendra avec un soutien spécialisé en situation familière et au plus près de ses attentes et préoccupations singulières.

Par exemple.


Si la difficulté immédiatement rencontrée par les parents, c'est de ne pas trouver une assistante maternelle qui veuille s'occuper de leur enfant compte tenu du fait qu'à son âge il ne marche toujours pas,
est-ce que la réponse doit prendre la forme de séances de psychomotricité dans les locaux du service ?
ou s'agit-il de rechercher une assistante maternelle, de la former pour qu'elle soit en capacité d'accueillir l'enfant, de réaliser les séances de psychomotricité avec elle pour favoriser le développement de la marche ?
Si la difficulté rencontrée par l'adulte pour vivre dans un appartement autonome, c'est qu'il n'est pas en capacité de préparer ses repas de façon autonome,
faut-il renoncer à cette perspective et l'orienter vers un foyer d'hébergement
ou établir un dispositif de portage assuré par le CCAS ?
ou encore créer un dispositif spécifique au service spécialisé, qui non seulement apporte les repas, mais les réchauffe et assure une action de soutien en matière d'équilibre alimentaire ?
Camus disait : « C'est une tâche, il est vrai, qui n'a pas de fin. Mais nous sommes là pour la continuer. »




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elles te disent qui tu es, où tu es."
H.L. Kristiansen, Paroles Inuit