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Scolarisation des jeunes avec un handicap Version imprimable Suggérer par mail

Journée régionale CREAI Centre IME IEM       8 octobre 2008

L'impact des nouveaux modes de scolarisation des enfants et adolescents handicapés
sur les établissemens médico-sociaux

L'éducation spécialisée n'est pas un grand fleuve tranquille
Intervention de Bertrand Dubreuil

La question que va devoir affronter le secteur médico-social dans les années à venir, c'est celle de son identité. La question que va devoir affronter l'Education nationale, c'est celle de la différence et de son renouvellement pédagogique. Le défi que nous avons à relever les uns et les autres est celui de la complémentarité.

 

 

L’éducation spécialisée n’est pas un grand fleuve tranquille

 

Perspective socio-historique 

 

L’école publique aurait dû être un grand fleuve qui emportait dans son cours éducatif tous les enfants de France. Ce ne fut pas le cas. D’ordinaire les rivières se jettent dans les fleuves. Ce ne fut pas le cas.

Le grand fleuve éducatif s’est dissocié. Une partie de ses eaux, qui manquait d’excellence,  fut détournée vers un bras secondaire, créant une rivière éducative spécialisée, qui rencontra d’autres rivières spécialisées pour créer le fleuve médico-social.

Aujourd’hui les eaux du fleuve médico-social sont appelées à rejoindre le grand fleuve de l’école publique. Encore faudra-t-il que ce grand fleuve ne se comporte pas comme un canal rectiligne mais accepte en son lit les remous des eaux qui manquent d’excellence.

            La question que va devoir affronter le secteur médico-social dans les années à venir,

c’est celle de son identité. La question que va devoir affronter l’Education national dans les années à venir, c’est celle de la différence et de son renouvellement pédagogique. Le défi que nous avons à relever les uns et les autres est celui de la complémentarité. Pour le relever il faut reconnaître l’autre dans son identité  et asseoir sa propre identité sur son origine.

Un détour par l’histoire s’impose donc.

Les lois Ferry, qui établissent à la fin du 19° siècle l’école laïque, gratuite et obligatoire, sont justifiées par le grand dessein de faire accéder tous les enfants de la République au « minimum d’instruction nécessaire ». Egalité oblige.

Mais l’objectif est aussi de civiliser les classes populaires, de rassembler les classes sociales et les particularités régionales autour de valeurs laïques référées au contrat social fondateur d’une communauté nationale.Il s’agit d’apprendre à aimer et servir la République.

Le projet républicain n’est pas aussi égalitaire qu’il le prétend. Au peuple sera diffusée une instruction élémentaire, aux élites bourgeoises sera réservé l’enseignement secondaire et supérieur, sans véritable passerelle entre les deux niveaux.

Cette distinction en deux niveaux va dissimuler quelque temps la question des difficultés d’apprentissage de certains enfants. Elle n’émergera qu’aux alentours de 1900. L’école publique est alors en rivalité avec les écoles privées confessionnelles et les élèves en difficulté nuisent à son image de marque. Pour les écarter des classes ordinaires, la loi de 1909 crée les classes de perfectionnement, invention de l’enseignement spécialisé. L’école publique s’inscrit ainsi dans une logique de distinction psycho-médicale  au lieu de s’interroger sur ses approches pédagogiques. Freinet et d’autres ont pourtant exploré des voies nouvelles, mais ils sont restés minoritaires, sinon marginaux.

L’école public ne se donnera d’ailleurs pas les moyens de son ambition d’accueillir les enfants en difficulté dans des classes particulières. En 1944, 35 ans après la loi de 1909,  274 classes de perfectionnement seulement auront été créées.

Le régime de Vichy va accentuer le processus. Il sollicite la psychiatrie infanto-juvénile et la justice pour traiter la question de l’enfance victime ou coupable que les troubles de la guerre rendent aiguë. En naîtra l’Enfance inadaptée, embryon du secteur médico-social.

A la Libération, les associations de parents, avec l’appui de pédopsychiatres, créent les premiers instituts médico-éducatifs autour du mot d’ordre : « Non aux asiles dépotoirs ! ». Ils sont soutenus par les pouvoirs publics, qui souhaitent limiter la chronicisation coûteuse des arriérés mentaux dans les hôpitaux psychiatriques.

Progressivement, s’institutionnalise une éducation spéciale. Alors que la pédagogie reste centrale pour l’enfance ordinaire, elle s’efface pour l’enfance inadaptée au profit du thérapeutique. Le déficient mental n’est plus seulement perçu à partir de son retard intellectuel mais comme une personnalité psychiquement fragile.

Les CMPP témoignent de ce mouvement. Conçus pour accueillir les enfants en difficulté à l’école et leur apporter un soutien psychopédagogique, ils sont progressivement désinvestis par l’Education nationale et l’approche thérapeutique y devient prévalente.

Dans les années 60, l’Education nationale est confrontée à la scolarisation de masse. Elle laisse les associations privées s’investir dans la prise en charge de la déficience. Cependant, peu après 68, l’exclusion scolaire d’un nombre de plus en plus élevé d’enfants suscite une réaction. Une pédagogie adaptée se développe par l’intermédiaire des Groupes d’Aide Psycho-Pédagogiques (GAPP) et la création de classes dites annexées, qui deviendront les Classes d’Intégration Scolaire (CLIS).

            Les circulaires sur l’intégration s’enchaînent alors au sein de l’Education nationale : 1976, 1982, 1983, 1989, 1991. Elles déclinent sur tous les tons le principe selon lequel il faut maintenir le jeune avec un handicap à l’école ordinaire. Mais l’Education nationale ne parvient à faire décoller sa politique d’intégration, elle voit même son rôle décroître en matière d’enseignement spécialisé au profit du secteur médico-social. Tout se passe comme si,  à chaque fois que les pouvoirs publics déclaraient leur intention d’intégrer, un dispositif identifiait un plus grand nombre d’enfants en difficulté au sein de l’école, ce qui provoquait leur exclusion.      

Dans la deuxième partie de la décennie 90, avec le lancement de Handiscol, les résultats seront plus encourageants. Il n’en reste pas moins qu’en 1996, 24% seulement des jeunes avec un handicap sont intégrés à temps plein ou temps partiel (niveaux primaires et secondaires confondus).

 

Où en est-on aujourd’hui ? Une enquête détaillée par handicap sur la scolarisation en école ordinaire, réalisée en 2004 montre que la scolarisation en milieu ordinaire varie fortement d’un handicap à l’autre. Pour ce qui nous intéresse ici :

·  Les jeunes avec une déficience intellectuelle légère ou moyenne sont souvent d’abord accueillis dans d'une classe spécialisée ou ordinaire mais avec l'accompagnement d'un SESSAD, puis ils passent en IME, soit au début de l’école primaire soit au moment du passage au collège.[1]            (34% ont un parcours exclusivement en milieu scolaire  ordinaire (dont 43% en SESSAD,           32% sont accueilli en IME après une scolarisation en maternelle        et 28% en IME après une scolarisation en école primaire.)

·  Les jeunes présentant une déficience intellectuelle profonde, des troubles envahissants du développement ou des handicaps multiples atteignant leurs facultés intellectuelles (polyhandicapés) ou non (plurihandicapés) sont accueillis pour la plupart en établissement spécialisé.

Au total 265.000 jeunes handicapés sont scolarisés en 2006-2007, dont :

  • 110.000 au sein d’un EME (65% souffrent d’une déficience psychique ou mentale)
  • 100.000 en établissements de l’EN.

Les effectifs y auraient doublé depuis 1999 pour la scolarisation individuelle (dont SEGPA) et légèrement régressé depuis 2000 pour la scolarisation collective.

 

En l’absence d’enquête articulant les différentes données, il est difficile de juger de l’impact du processus sur les IME. Lors de la Conférence nationale du handicap du 13 juin 2008, le président de la République annonçait pour 2012 la création de 12.250 places de SESSAD (dont 5.000 par redéploiement des IME),  et de 3.200 en IME. Sur quelle base, à partir de quelle projection ?

 

Balbutiements et opacité

 

Histoire de compliquer un peu le problème, le secteur médico-social n’est pas seulement confronté au processus de scolarisation mais aussi à la volonté politique de le rattacher aux agences régionales de santé. On vient à peine de vivre le passage aux MDPH et le regroupement sous l’égide de la CNSA du secteur des personnes âgées et du secteur des personnes handicapées. Les MDPH devraient bientôt intégrer la question des personnes âgées, en devenant les maisons départementales de l'autonomie. Il s’agit maintenant de regrouper le secteur hospitalier, de la médecine de ville et du secteur médico-social au sein d’Agences régionales de santé. Ce redéploiement organisationnel s’élabore autour de la notion de 5° risque, c’est-à-dire, le risque de dépendance consécutive au vieillissement ou au handicap.

Sans s’attarder sur le sens sociétal et politique de cette structuration, on peut se demander si les dimensions du soin et de la pédagogie, au sens étroitement scolaire du terme,  ne risquent pas de minorer :

  • d’une part l’approche éducative de l’autonomie en situation au côté de l’approche soignante de la rééducation des capacités,
  • mais aussi la dimension de la psychopédagogie (développement cognitif, pédagogie adaptée)
  • et la dimension du psycho-éducatif (dimension transférentielle des situations éducatives).

Or ces dimensions intermédiaires font la richesse opératoire du secteur médico-social.

On peut à l’inverse considérer de façon optimiste que le secteur médico-social n’est pas sans atout dans le processus en cours. Diverses déclarations relatives aux Agences régionales de santé laissent même penser qu’il est considéré comme un acteur susceptible de contribuer à l’évolution de pratiques trop sectorisées. Faut-il en outre faire l’hypothèse que, de même qu’au moment de la création de l’Enfance inadaptée, la proximité culturelle des politiques et des administrations centrales avec les responsables du mouvement associatif jouera en sa faveur ?

Quoi qu’il en soit, ce regroupement au sein des ARS est un élément supplémentaire dans un paysage qui est pour le moins brouillé. Je vais d’ailleurs vous donner le tournis pendant quelques minutes en vous proposant une partie du bloc note des deux dernières années.

 

Auxiliaire de vie scolaire

En septembre 2005, l’Education nationale employait 6.700 aides éducateurs et auxiliaires de vie scolaire, 8.000 emplois de vie scolaire (EVS) devaient en outre assurer les fonctions d’aide à la scolarisation des élèves handicapés. En 2006, le rapport Geoffroy indiquait que l’Education nationale employait 6.000 auxiliaires de vie scolaire,  En septembre 2007 est annoncé le recrutement de 2700 AVS alors que 38.000 nouvelles demandes de scolarisation sont estimées pour la rentrée scolaire. Autrement dit une AVS pour 14 enfants en moyenne !

Cependant, quand en juin 2008 Xavier Bertrand annonce 10.000 nouvelles scolarisations en septembre 2008, on a du mal à croire aux 38.000 de la rentrée 2007.

Pour l’année scolaire 2007-2008, l’Education nationale indique que, sur les 111.000 élèves avec un handicap qu’elle accueille en école primaire, à temps plein ou temps partiel, 56% n’ont pas d’AVS, 5% ont une AVS ou un EVS à temps plein, 16,5% à temps partiel et 22,5% une AVS collective.

L’éducation nationale accueille en école primaire 70.000 élèves avec des troubles des fonctions cognitives et des troubles des fonctions psychiques,  à temps plein ou temps partiel. 51% n’ont pas d’AVS, 4,5% ont une AVS ou un EVS à temps plein, 15% à temps partiel et 30% une AVS collective.

Les auxiliaires de vie scolaire  n’ont qu’une formation de 60 h sur tous les handicaps,

pas toujours effective au moment où elles sont affectées à une école. Les emplois de vie scolaire, appelés en renfort, n’ont quant à eux aucune formation et sont embauchés sur un contrat de 10 mois. Pourtant une circulaire de l’Education nationale en avril 2008 indique que chaque AVS doit se voir offrir une formation, « qu'il s'agisse des personnels recrutés sur contrats d'assistants d'éducation ou de ceux recrutés sur contrats aidés ».

 

Partenariat Education nationale - Médico-social

Un rapport remis au secrétariat d'Etat à la Solidarité en avril 2007 préconise pour la scolarisation des jeunes polyhandicapés :

  • le recours au temps partiel à l'école avec une AVS,
  • complété par un accueil en établissement médico-social
  • et l'accompagnement d'un service d'éducation spécialisé et de soins à domicile.

Selon les auteurs, « il serait utile de rendre obligatoire un partenariat entre l’établissement et l'Education nationale».

Par ailleurs une convention de partenariat sur la formation des auxiliaires de vie scolaire a été conclue en septembre 2007 entre l'Education nationale et les associations du secteur du handicap.

Une circulaire d’avril 2008 de l’Education nationale indique :

  • qu’un effort croissant de formation des enseignants doit être engagé.
  • que le plan d’ouverture de 200 UPI par an permettra d’atteindre le nombre total de 2000 UPI en 2010.
  • que la plate-forme téléphonique « Aide handicap école » est pérennisée,

La question du partenariat avec le secteur médico-social n’est une nouvelle fois pas évoquée. Alors que, de son côté, Patrick Gohet, Délégué interministériel aux personnes handicapées, déclare que « le savoir faire de l’éducation spéciale reste indispensable, notamment en matière de pédagogie spécialisée. » 

 

Diverses déclarations

Serge Milano, l’un des artisans de la loi de 2005 : « Les parents se plaignent que l’Education nationale ne mette pas en place suffisamment de moyens. Ils ont raison car elle ne cesse de se défausser sur cette question. »

Philippe Miet, conseiller national APF : « Il existe des dysfonctionnements. Beaucoup d’AVS n’étaient pas là à la rentrée. Les familles se sont adressées à des inspections académiques qui n’étaient pas au courant. Et elles ont du mal à contacter les enseignants référents… rien n’a été anticipé. »

Georges Delfau, sénateur de l’Hérault, Parti radical de gauche : « La conjonction de ces deux phénomènes, insuffisance de moyens à l’Education nationale et affaiblissement du secteur médico-social, pourrait détourner en leur sens profond les lois de 2002 et 2005 et faire régresser la place des jeunes handicapés dans notre société. »

Pierre-François Gachet, DG de l’UNAPEI, à propos des Emplois de Vie Scolaire : « Imaginer que, parce qu’on a des difficultés, on saura s’occuper des personnes handicapées, c’est une vision de l’action sociale qui nous ramène quelques décennies en arrière. »

 

Les prises de position des associations

L’APAJH et l’APF font fonctionner un service téléphonique « Handicap assistance » pour marquer :

  • leur vigilance à ce que la scolarisation par l’Education nationale ne se traduise pas par un désengagement de la scolarisation en établissement spécialisé,
  • leur souci de rester en phase avec les parents qui privilégient spontanément l’accueil en école ordinaire,
  • leur crainte que la scolarisation ne s’accompagnement pas d’une poursuite de l’effort pour accueillir les enfants toujours sur liste d’attente dans les MDPH.

Les associations ne posent pas aujourd’hui le droit opposable à la scolarisation comme une revendication catégorique, elles sembleraient plutôt le considérer comme l’expression de la volonté du président de la République d’inciter les pouvoirs publics à accomplir leurs obligations, pour que soit garantit aux familles la scolarisation de leur enfant. 

Faut-il y voir une certaine prudence :

  • devant le caractère mitigé du processus de scolarisation au sein de l’EN,
  • devant une mise en ½uvre de ce droit opposable qui semble irréaliste

au regard des moyens conséquents qu’elle supposerait immédiatement en formation des enseignants, programmes et outils pédagogiques adaptés, rythmes scolaires appropriés, accessibilité des locaux. Ou alors les associations craignent-elles une accentuation du processus actuel, dont elles dénoncent les insuffisances… et les désavantages pour le secteur médico-social ? Pourtant, Laurent Cocquebert, directeur de l’UNAPEI considère que l’approche actuelle de la scolarisation est « pragmatique et équilibrée, elle ne se réduit pas à l’intégration scolaire stricte. Toutes les formes de scolarisation sont possibles, en IME y compris. » (ASH Magazine Septembre/octobre 2007)

Le propos se veut consensuel et rassurant comme celui de Serge Milano lorsqu’il affirme que : « La loi n’a pas pour objectif de vider les établissements d’éducation spéciale car on sait bien que certains enfants handicapés ne pourront pas intégrer l’école ordinaire. »

Mais conjointement la justice met l’Etat et l’Education nationale en devoir d’assurer son obligation de moyens. En juillet 2007, la cour administrative d’appel de Paris a en effet condamné l’Etat dans une affaire de carence de prise en charge d'un enfant avec un handicap. Et en mai 2008, le tribunal administratif de Toulouse a ordonné la réintégration immédiate d’un enfant autiste exclu de l’école primaire au motif que son comportement difficile perturbait la classe.

 

 

Alors, pourquoi cette valse hésitation ? Comment expliquer cette difficulté à percevoir une volonté continue au travers de la cohérence des moyens qui seraient mis en ½uvre ? Comment comprendre que ne s’impose pas l’évidente nécessité d’une synergie entre l’Education nationale et le Médico-social pour que la scolarisation des enfants avec un handicap se développe de façon satisfaisante ?

Je me propose d’appréhender cette question à partir du phénomène de rationalisation qui caractérise les sociétés modernes selon Max Weber, et les prolongements que lui ont apportés Michel Crozier et Erhard Friedberg dans l’analyse du fonctionnement d’un système d’action.

Au début du 20° siècle Max Weber observe que les sociétés occidentales évoluent vers une rationalisation de leur organisation sociale. Auparavant fortement dépendantes des choix d’un petit nombre d’individus - le bon vouloir du prince – ces sociétés développent un modèle d’organisation caractérisé par des décisions relevant de normes générales traduites en règles appliquées de façon systématique, impliquant un rapport à dominante impersonnelle et une répartition des responsabilités à base de compétences.

Ce modèle n’exclut pas des aspects de domination mais ceux-ci sont dépersonnalisés, ou au moins médiatisés par un appareil qui traduit les orientations de la puissance publique dans un processus rationalisé.

Max Weber qualifie de bureaucratique cette administration des questions sociales à partir de règles qui :

  • du côté des usagers, visent à l’équité et l’explicitation rationnelle de ce qui motive les actions et les décisions,
  • du côté des gouvernants, visent à la gestion économiquement efficiente et socialement acceptable des ressources dont dispose la nation.

Le milieu du 20° siècle a vu se développer ce qu’on appelle la technocratie dans le prolongement de la bureaucratie. C’est le gouvernement par des techniciens de l’organisation. La technocratie est chargée par le politique de concevoir les modalités organisationnelles et fonctionnelles qui permettront de mettre en ½uvre les orientations fixées par la loi, autrement dit : les décrets et circulaires, les niveaux et instances de prise de décision, le plan de déploiement des emplois nécessaires, etc.

La bureaucratie et sa superstructure, la technocratie, visent l’efficacité. Mais Michel Crozier et Erhard Friedberg ont montré que l’organisation de travail rationalisée n’était pas toujours aussi efficace qu’on pouvait le penser, qu’elle générait ses propres blocages, dysfonctionnements, effets pervers, et que les acteurs d’un système d’action rationnellement organisé reconstituent en permanence des marges de man½uvre, quelle que soit la précision des normes qui régissent leurs actes.

En résumé, une société rationnelle, au sens de Max Weber, traite ses problèmes à trois niveaux :

  • idéologique : le système de représentation du vivre ensemble, les choix de société, les orientations de politique générale ;
  • technocratique : les modalités organisationnelles et fonctionnelles considérées comme les plus appropriées à la réalisation de ces choix, de ces orientations ;
  • bureaucratique : les actes qui, effectuées de façon systématique et selon des règles précises, réaliseront l’orientation.

Le traitement de la scolarisation des enfants avec un handicap se décline sur ce mode.

  • Au niveau idéologique, la loi du 11 février 2005 : le projet de vie, le projet personnalisé de scolarisation, le plan de compensation.
  • Au niveau technocratique, les décrets et circulaires : l’enseignant référent, les UPI (unité pédagogique d'intégration), les unités d’enseignement en établissement social ou médico-social, les auxiliaires de vie scolaire.
  • Au niveau bureaucratique, la mise en ½uvre de ces différentes dispositions,

§    énoncées au travers de circulaires sectorielles,

§    relayées par les différents échelons de la hiérarchie,

§    organisées au niveau de chaque établissement scolaire,

§    traduites par l’embauche et la formation des AVS, la nomination des enseignements référents, la création d’UPI, etc.

Le processus de scolarisation des enfants avec un handicap auquel on assiste aujourd’hui relève :

§    d’une part d’un traitement rationalisant et de ses effets pervers relatifs aux présupposés et enjeux sous-jacents au niveau des instances décisionnelles,

§    d’autre part  des marges de man½uvre reconstituées par les investissements humains : intérêts corporatifs, rapports de pouvoir interpersonnels, mais aussi recherche de coopération, engagement partagé auprès des jeunes concernés.

Mais ne nous y trompons pas, le secteur médico-social n’échappe pas à ce modèle de traitement rationalisant. En témoignent les diverses procédures que nous mettons en place, des dispositions telles que l’admission, les étapes de la démarche de projet individuel et ses documents administratifs, le dispositif de réunions, d’information, de délégations de responsabilité, etc. Il s’agit de prédéterminer, avec plus ou moins de précision, un certain nombre d’actes à effectuer systématiquement.

            Evitons de diaboliser d’emblée cette rationalisation. Elle comporte le risque de déshumaniser les actes professionnels. Mais n’oublions pas aussi que l’écueil de la personnalisation de l’acte professionnel, ce peut être la projection des attentes du professionnel sur la personne accompagnée, l’induction d’une relation de dépendance au professionnel.

Les difficultés observées dans le processus de scolarisation en cours ne tiennent d’ailleurs pas seulement au fait qu’il relève d’un traitement rationalisant, mais aussi au fait qu’il doit mettre en synergie deux systèmes d’action structurellement différents, l’un dominé par la gestion de flux de populations, l’Education nationale, l’autre dominé par la logique de projet, le secteur médico-social.

D’une part les logiques de ces deux systèmes d’actions sont différentes, d’autre part le processus de scolarisation les rend structurellement antagonistes. En effet, à moyens constants, si partie des charges sont transférées d’un système d’action à l’autre partie équivalente des moyens devront aussi être transposées.

On me dira peut-être qu’il ne faut pas transférer les moyens mais en affecter de supplémentaires dans le système d’action qui se voit attribuée une charge supplémentaire - l’Education nationale en l’occurrence - car la scolarisation des enfants en milieu ordinaire implique de la part des services spécialisés autant de moyens que leur accueil en établissement.

J’ai tendance à penser que ce raisonnement est irréaliste. Il ne nous incite pas à un effort d’organisation, l’amélioration de certains aspects du fonctionnement, une meilleure définition des rôles, voire une déprise partielle. Dans une conjoncture économique qui, à terme, ne dégagera pas des marges conséquentes et au regard d’une démographie décroissante, la seule perspective envisageable me semble être le redéploiement partiel des moyens au sein du secteur médico-social en soutien à la scolarisation des enfants avec un handicap, pour éviter à terme un transfert statutaire des moyens du Médico-social vers l’Education nationale.

Pour autant la synergie des moyens du Médico-social et de l’Education nationale en vue de la scolarisation des enfants avec un handicap est aussi entravée par des antagonismes au niveau de la technocratie, dans les enjeux de pouvoir au niveau central des deux systèmes d’action concernés. Ne sont dit qu’à demi mots les enjeux financiers, l’inscription de l’a-normalité sur le registre de la dépendance, la double proximité culturelle des grands corps de l’Etat d’une part avec l’appareil de l’Education nationale, d’autre part avec les grandes associations et les équilibres à maintenir pour éviter des crises ouvertes.

Dans l’application de la loi du 11 février 2005, le niveau technocratique ne projette pas la totalité des moyens correspondants au dessein idéologique. Même si l’obligation de moyen relève d’abord de la responsabilité du politique, le niveau technocratique devrait énoncer les problèmes qui en découlent.

  • En l’occurrence, la direction de l’Education nationale aurait pu se concerter avec les acteurs du médico-social pour organiser le redéploiement envisagé.
  • Elle aurait pu éviter de désorganiser certains dispositifs d’intégration scolaire existant, comme elle l’a fait dans le secteur de la surdité.
  • Elle aurait dû produire le texte réglementaire concernant les unités d’enseignement en établissement social ou médico-social, afin de faciliter des synergies avec les établissements scolaires.

De façon générale, l’Education nationale est en difficulté pour concrétiser les réformes envisagées. Parmi d’autres, les travaux de François Dubet et ceux de Jean-Marc Lesain-Delabarre ont montré comment les logiques descendantes et ascendantes s’y articulaient mal. Le système d’action constitué par l’Education nationale semble tellement autocentré, les intérêts respectifs de ses acteurs y semblent tellement interdépendants, à la manière de pavés autobloquants, que les impulsions réformatrices ne produisent pas les effets souhaités, et que les initiatives des acteurs de terrain se heurtent à l’inadéquation des règles organisationnelles.

Des réformes structurelles, impulsées du niveau central s’ensablent dans les lenteurs, les chicanes, les intérêts corporatifs, l’inertie et la résistance de certains acteurs. Des initiatives locales s’épuisent tout autant devant les lenteurs bureaucratiques, les blocages hiérarchiques, les incompréhensions ou les inquiétudes corporatives.

Conjointement, les insuffisances des impulsions technocratiques génèrent des coups de barre contradictoires, des variations de moyens incohérentes, de telle sorte que des acteurs s’investissent dans des dispositifs appropriés à leur contexte, puis se découragent devant de brusques corrections de trajectoires technocratiques.

L’administration des affaires sociales n’est pas en reste dans sa gestion du médico-social. En octobre 2006, une circulaire de la DGAS a jeté la panique dans les services dédiés à la déficience visuelle ou auditive et fortement engagés dans l’intégration scolaire. Elle visait pourtant à favoriser « l’accueil des jeunes en milieu scolaire ordinaire » à soutenir  des « parcours scolaires individualisés », notamment en développant des « modes de scolarisation partagés. » autrement dit à temps partiel.

La circulaire annonçait qu’il fallait « adapter le financement aux modalités de prise en charge », autrement dit réduire d’autant le prix de journée pour les séquences de scolarisation en école ordinaire ou passer en dotation globale afin transférer des accueils en établissements vers des accompagnements en SESSAD.

Anticipant les difficultés, l’administration recommandait la souplesse d’application pour - je cite - « … lever tous les obstacles financiers de façon à ne pas dissuader les établissements à s’engager dans cette politique d’ouverture. » On ne peut donc pas reprocher au niveau technocratique d’avoir négligé l’impact d’une disposition générale. Sauf que…

Sauf que deux oublis majeurs ont transformé un instrument supposé favoriser les scolarisations partagées en instrument les en dissuadant car il générait des pertes financières sans réduction correspondante de la charge de travail pour l’établissement ou le service. 

En effet, certaines DASS ont annoncé aux services qu’ils devraient désormais défalquer de leur prix de journée les temps de scolarisation en école ordinaire, alors même que ce prix de journée n’était pas celui d’un accueil en établissement à temps plein, mais celui d’un accompagnement dans une scolarisation à temps partiel.

Concernant les établissements, la circulaire semblait ignorer que la scolarisation partagée impliquait un accompagnement, que la seule réduction de moyens au sein de l’établissement concernait la prestation pédagogique, et devait donc se traduire éventuellement par un transfert de poste d’enseignant de l’établissement médico-social vers l’école ordinaire. Ou alors… ce que la technocratie projetait c’était de réaliser des économies budgétaires… sans le dire. Ficelle un peu grosse et qui n’a pas manqué de susciter des réactions.

Lorsque l’administration locale a tenté d’appliquer les recommandations technocratiques à la lettre, elle a déclenché des protestations associatives, qu’il lui a bien fallu prendre en compte au risque sinon d’engager de redoutables conflits avec les professionnels, les associations et les familles .

Dans d’autres cas la circulaire a découragé les établissements de s’engager dans des scolarisations en milieu ordinaire à temps partiel. Enfin, dans le meilleur des cas, l’administration locale a interprété la circulaire de la façon la plus favorable aux établissements, la moins susceptible de provoquer des difficultés de collaboration. Elle a pris en compte de façon large les  « charges communes non liées à la nature des activités » les charges administratives et pédagogiques « que l’établissement continue d’assurer » et « les prestations de soins assurées par l’établissement. »

On a là une illustration de ce qui caractérise aujourd’hui le processus de scolarisation :

§    des intentions technocratiques en soi justifiées et des modalités de mise en ½uvre pertinentes,

§    mais partiellement ignorantes de certains aspects de réalité,

§    d’autres intentions plus ou moins dissimulées,

§    des applications bureaucratiques… inapplicables, ou tellement assouplies qu’elles deviennent insignifiantes,

§    des inquiétudes dans les établissements qui viennent raidir les comportements, entraver les initiatives, au mieux qui se traduisent par des impasses réglementaires pour maintenir les projets de scolarisation partagée,

§    des réactions associatives qui apparemment ne manquent pas de poids car l’application intégrale des intentions déclarées devrait logiquement se traduire aujourd’hui par des restructurations IME autrement plus significatives que celles qu’on observe dans le secteur médico-social.

 

Autre exemple, des incohérences du niveau technocratique, le décret du 30 décembre 2005 (relatif au parcours de formation des élèves présentant un handicap avait ouvert, articles 14 et 15) prévoit la création d’unités d’enseignement au sein des établissements sociaux et médico-sociaux, offrant ainsi au dispositif de scolarisation une souplesse appropriée aux parcours personnalisés. On ne peut que s’interroger sur le blocage des textes réglementaires en la matière. Il ne facilite en tout cas certainement pas les initiatives en matière de collaboration entre l’Education nationale et le secteur médico-social. Ce décret ouvrait en effet une palette de solutions :

§    une scolarisation complète dans l’établissement scolaire de référence,

§    une scolarisation complète dans l’unité d’enseignement de l’établissement médico-social,

§    une scolarisation partagée dans l’unité d’enseignement de l’établissement médico-social et dans l’établissement scolaire de référence

§    une scolarisation partagée dans l’unité d’enseignement de l’établissement médico-social et dans un établissement scolaire à proximité de l’établissement médico-social.

Une circulaire de l’Education nationale en avril 2008 indique que les élèves handicapés bénéficient d’une priorité absolue dans le cadre de l'assouplissement de la carte scolaire. Cette priorité devrait faciliter la scolarisation en partenariat avec un établissement spécialisé  dans la mesure où elle permettrait le regroupement d’un certain nombre d’élèves dans un établissement scolaire proche de l’établissement spécialisé. Va-t-il falloir passer par cette petite porte ?

 

L’opacité du processus engagé semble donc telle qu’il reste à agir ici et aujourd’hui - je souligne : ici et aujourd’hui – sans pronostiquer ce que sera demain.

Ce n’est ni satisfaisant, ni confortable, je vous l’accorde, mais en vous disant le contraire il me semble que je vous illusionnerais tellement la lecture des textes et des déclarations autorisées donnent le sentiment d’intentions mille fois proclamées et de constats d’insuffisance.

 

 

Synergie

 

Agir ici et aujourd’hui, c’est ce qu’on observe, de façon très inégale il est vrai, selon l’antériorité des collaborations, la démographie scolaire locale, certaines nominations aux postes décisionnels, le dynamisme des associations, des établissements et des services. On entend aujourd’hui un certain nombre de témoignages sur les collaborations qui se mettent en place avec les enseignants, les équipes éducatives, les responsables d’établissements scolaires.

Le puzzle se construit donc, morceau par morceau, même s’il n’est pas exclu que certains morceaux soient mal placés et que certains aspects du paysage qui commençaient à se dessiner doivent subitement être reconfigurés.

J’ai précédemment évoqué le fait que l’Education nationale était dominée par une logique de gestion de flux de populations, avec l’obligation d’assurer sa mission en tout point du territoire, tandis que les établissements et services sociaux et médico-sociaux étaient dominés par une logique de projet, sans avoir à se préoccuper d’assurer une couverture territoriale.

Il y a évidemment une dimension de projet à l’Education nationale  et une dimension de mission dans le secteur médico-social, mais, du côté de l’Education nationale, il faut assurer la mission partout sans maîtriser complètement la demande, alors que du coté du médico-social il faut s’emparer de cette mission pour développer des projets qui s’y inscrivent. La posture institutionnelle diffère donc considérablement, ce qui se répercute dans les comportements des acteurs.

On en voit une illustration dans les témoignages d’enseignants d’UPI qui trouvent dans l’équipe interdisciplinaire médico-sociale le ressourcement, l’étayage clinique, qui leur permet, à des degrés divers, de faire face à leur isolement. Nombre d’entre eux en effet assument seuls la responsabilité de l’accueil d’enfants avec un handicap, alors que cette responsabilité devrait être partagée par l’ensemble de l’équipe enseignante. Ils vivent un colloque duel avec des jeunes qui interrogent la relation pédagogique, des familles qui leur demandent de jouer un rôle dépassant leurs compétences, des compétences multidisciplinaires qui relèvent  d’une équipe pluridisciplinaire et d’interventions articulées.

            Alors qu’ils sont confrontés à une logique de flux, répartis sur des individus par une organisation centrale, ces enseignants rencontrent au sein du médico-social une équipe qui s’inscrit dans la perspective d’un projet collectif,  en réponse à un besoin ciblé, la perspective d’un projet dans lequel s’est investie l’association gestionnaire du service ou de l’établissement concerné.

Cette prise en compte des contraintes relatives au partenaire est donc indispensable à tout collaboration, nécessaire pour prendre en compte le fait que la synergie entre l’Education nationale et le médico-social relève, dans des proportions variables, à la fois :

§    de montages structurels d’envergure

§    et de bricolages de terrain.

Dans certains départements en effet, l’inspecteur de l’Education nationale (IEN) chargé de l’adaptation et de la scolarisation des élèves handicapés (ASH), établit en concertation avec le secteur médico-social des dispositifs intégrant des réponses diversifiées tant dans le primaire que dans le secondaire :

§    passerelles entre des parcours scolaires individuels accompagnés par une AVS,

§    scolarisation en CLIS et classes d’IME externées en école primaire,

§    scolarisations partagées en IME et en école primaire,

§    dispositif de formation et de découverte professionnelle qui rassemble des UPI en collège, des SEGPA, des IME, le CFA (Centre de formation des apprentis) et à terme des lycées professionnels.

Cela permet ainsi, à partir des plateaux techniques respectifs, de développer des parcours de découverte des champs professionnels et des modules de formation professionnel aboutissant à des attestations de validation au moins partielles.

Mais, même lorsque l’environnement institutionnel n’est pas favorable, des IME parviennent à établir des collaborations locales. Je pense à ce montage dont j’ai été témoin dans un département où l’Inspection académique ne prenait pas d’initiative globale et où le schéma départemental ne développait pas la perspective d’ouverture vers l’Education nationale. Cela n’a pas empêché l’établissement de s’appuyer sur un embryon de classe externée dans une école primaire pour la transformer en un dispositif  permettant d’y scolariser intégralement ou partiellement en cours d’année des enfants accueillis dans l’IME.

L’équipe avait en effet observé que la réussite d’une scolarisation en milieu ordinaire

reposait sur des opportunités individuelles qui ne correspondaient pas nécessairement à la rentrée scolaire et qu’il fallait par ailleurs doser cette scolarisation, l’entamer parfois autour d’une seule journée, puis d’un mi-temps jusqu’à un accueil complet. Se jouait à cette occasion un processus d’intégration progressive du nouveau venu par les élèves déjà présents : dans le cour de récréation, à la cantine, à l’occasion des cours partagés avec d’autres classes.

« L’école expérimente ainsi la scolarisation des enfants avec un handicap, de façon calme, progressive et soutenue. » disait la directrice de l’IME concerné. Ces trois adjectifs me semblent intéressants parce qu’ils qualifient un processus humainement ajusté et non bureaucratiquement programmé. Ainsi, par exemple, une éducatrice de l’IME est présente sur les temps de récréation et de cantine, venant renforcer l’équipe enseignante. Ainsi, en accord avec l’inspecteur de l’Education nationale, ce sont les enseignants de l’IME qui établissent les PPS (Projet personnalisé de scolarisation),  tandis que l’enseignant référent se consacre aux scolarisations individuelles. Ainsi le directeur de l’école assiste aux synthèses de l’IME.

C’est dans le même esprit que l’établissement a établi des passerelles avec des SEGPA et des UPI afin que des jeunes puissent effectuer des périodes d’essai dans les structures respectives. Lorsqu’un jeune de l’IMPro est susceptible d’une orientation en SEGPA, l’établissement continue de le suivre un certain temps dans le domaine thérapeutique et éducatif, puis sa situation est examinée dans le cadre de la commission départementale d’orientation de l’Education nationale afin d’être admis en SEGPA et  dans le cadre de la commission départemental pour l’autonomie afin de sortir du champ du handicap. Le chemin peut se faire à l’inverse, de l’UPI ou la SEGPA vers l’IMPro, au travers du même circuit de commissions.

Là aussi une synergie permet la répartition des tâches. Lorsque le jeune vient de l’IMPro, c’est l’établissement qui pilote le processus. Lorsqu’il vient de la SEGPA ou de l’UPI, c’est l’enseignant référent qui le pilote. Le même dispositif est en construction avec un lycée professionnel, doublé d’une mutualisation des moyens pour un atelier Espace Vert. A court terme la création d’un SESSAD Pro devrait accompagner l’ouverture d’une UPI dans ce même lycée.

Mais l’IMPro ne se contente pas de développer des synergies avec l’Education nationale, il participe conjointement à un regroupement d’IMPro visant à mailler leurs ateliers respectifs pour proposer un dispositif de découverte des champs professionnels et de formation pré-professionnelle plus diversifié que les quelques ateliers traditionnels d’IMPro.

Par ailleurs, dans la perspective d’un parcours de professionnalisation, l’établissement propose d’accueillir en internat classique puis en appartements autonomes les jeunes susceptibles d’une formation professionnelle en milieu ordinaire. Bien que capables d’apprentissages, ceux-ci peuvent en effet se montrer en difficulté pour aborder une existence d’adulte autonome, voire insécurisés par leur immersion en milieu ordinaire, de telle sorte qu’ils nécessitent un accompagnement éducatif et thérapeutique caractérisé par une unité de lieu et d’action médico-sociale.

Le processus de scolarisation en école ordinaire n’est donc pas ici appréhendé comme un mot d’ordre à appliquer avec le seul objectif d’apprentissage, mais dans l’esprit de la loi, à savoir dans une perspective d’égalité des chances. Il ne s’agit pas de scolariser les jeunes pour qu’ils effectuent les mêmes apprentissages que tous, avec une forte probabilité de s’y trouver en échec. Nombre de jeunes accueillis en IMPro ne sont pas tant en difficulté au niveau de la technicité et des habiletés manuelles qu’au niveau d’une familiarité aux codes sociaux communément convenus. Il s’agit de les mettre en situation de réussite en milieu ordinaire.

            Deux détails complémentaires qui sont d’importance.

D’une part ces initiatives ont été développées alors que le texte sur les unités d’enseignement en établissement médico-social n’a toujours pas vu le jour, l’inspection académique et l’établissement convenant tacitement que les conventions antérieures de mise à disposition d’enseignants restaient valides et permettaient de considérer qu’une école fonctionnait au sein de l’établissement.

D’autre part, l’établissement  n’a pas appliqué la circulaire d’octobre 2006 relative au calcul des prix de journée modulés en cas de scolarisation partagée. Il a considéré la réciprocité des services : par exemple, l’accueil des jeunes issus d’UPI ou de SEGPA en compensation de l’accueil des jeunes d’IMPro en collège ou lycée, la nécessité d’une d’un temps de suivi plus ou moins soutenu, ou la présence de l’éducatrice au sein de l’école primaire.

 

De cet exemple succinctement relaté, je retiens plusieurs propositions.

  • L’insertion sociale passe par un vécu de réussite en situation ordinaire, tel est l’esprit de la loi du 11 février, et non pas la conformité étroite à une scolarisation normative.
  • Ce vécu de réussite exige une évaluation circonstanciée des capacités du jeune à s’immerger en milieu ordinaire et une souplesse du dispositif pour pouvoir procéder par essais ajustements.
  • La collaboration avec l’Education nationale ne passe pas nécessairement par des dispositifs généraux et des textes réglementaires, mais aussi par des montages artisanaux, élaborés pas à pas, montages que l’absence ou l’irréalisme de certains textes réglementaires ne semble pas empêcher localement.
  • Les synergies mises en ½uvre fonctionnent parce que le secteur médico-social engage des moyens humains et matériels.

Il s’agit bien de passer d’une logique d’accueil en milieu spécialisé à une logique de soutien spécialisé en milieu ordinaire.

            L’IME doit se concevoir aujourd’hui, non plus comme un seul lieu d’accueil à la journée ou à la semaine, mais comme un dispositif ressource qui peut :

  • accueillir des jeunes à temps plein ou à temps partiel pour une plusieurs années, en scolarisant ces jeunes dans le cadre d’une pédagogie adaptée,
  • accompagner des jeunes et leurs familles sur le mode actuel du SESSAD,
  • accompagner des jeunes de façon beaucoup plus soutenue dans une classe ordinaire, une UPI ou une CLISS,
  • et aussi, formule peu explorée jusqu’alors, accueillir des jeunes en internat au regard de difficultés de comportement, de troubles de la personnalité, d’une insuffisante autonomie dans les actes de la vie sociale, pour permettre conjointement un accueil en école ordinaire.  En quelque sorte un internat SESSAD.

 

 

Itinéraires professionnels

 

Je termine sur une réflexion un peu provocante.

Le meilleur service que vous pouvez rendre à votre établissement c’est d’abord de penser à votre intérêt. Au moins d’y penser aussi. Je veux dire : penser à ce qui vous intéresse. Devant les évolutions qui se dessinent, avec quel public j’ai envie de travailler ? Et en conséquence quelles formations ou quelles expériences complémentaires, j’effectue pour m’orienter vers ce type de public. Sachant évidemment que d’autres paramètres entrent en ligne de compte : ma famille, l’emploi de mon conjoint, mes contraintes financières, mon lieu de domiciliation, etc.

            Si je privilégie certains de ces facteurs, si je les priorise sur l’intérêt pour un type de public, il me reste à considérer ce que va m’imposer l’évolution de l’établissement dans lequel je travaille. Je devrais alors investir la perspective d’un projet à développer avec une équipe et la technicité qu’il supposera.

 

Chacun d’entre nous a la responsabilité de ne pas travailler dans la plainte des changements qui lui sont imposés. Chacun d’entre nous a la responsabilité de ses choix à l’égard du public et du collectif de travail auquel il appartient. Nous avons la responsabilité de déterminer ce qui nous intéresse. Nous le devons au public, au collectif de travail, mais aussi à nous-même. C’est bien la meilleure façon d’être une ressource pour l’établissement au regard de son évolution.

Nous travaillons avec nos investissements et nos compétences. Si vous vivez les changements qui s’annoncent ou vous affectent déjà comme de seules contraintes, vous adopterez une attitude unilatéralement négative, non seulement vous vous déqualifierez, vous vous épuiserez dans une déconsidération de votre identité professionnelle mais en plus vous serez des forces de résistance et d’inertie.

Pensez donc à vous-mêmes, positivement, c’est ainsi que vous serez utiles dans un processus qu’aucun d’entre nous ne maîtrise, pour accompagner ceux qui nous sont confiés. C’est en participant aux réalités d’aujourd’hui que nous préserverons ce que nous avons construit de meilleur dans un secteur d’activité professionnel qui montre une singulière vitalité.

C’est parce que l’avenir est incertain que vous devez investir le vôtre.

 

 

 



[1] En école primaire ces jeunes représentent 64% des jeunes accueillis à temps plein et temps partiel (70.000 / 110.000).

 




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